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LE SURVIVANT

Mr et Mrs Dursley, qui habitaient au 4, Privet Drive, avaient toujours affirmé avec la plus grande fierté qu'ils étaient parfaitement normaux, merci pour eux. Jamais quiconque n'aurait imaginé qu'ils puissent se trouver impliqués dans quoi que ce soit d'étrange ou de mystérieux. Ils n'avaient pas de temps à perdre avec des sornettes.

Mr Dursley dirigeait la Grunnings, une entreprise qui fabriquait des perceuses. C'était un homme grand et massif, qui n'avait pratiquement pas de cou, mais possédait en revanche une moustache de belle taille. Mrs Dursley, quant à elle, était mince et blonde et disposait d'un cou deux fois plus long que la moyenne, ce qui lui était fort utile pour espionner ses voisins en regardant par-dessus les cl?tures des jardins. Les Dursley avaient un petit gar?on prénommé Dudley et c'était à leurs yeux le plus bel enfant du monde.

Les Dursley avaient tout ce qu'ils voulaient. La seule chose indésirable qu'ils possédaient, c'était un secret dont ils

craignaient plus que tout qu'on le découvre un jour. Si jamais

quiconque venait à entendre parler des Potter, ils étaient convaincus qu'ils ne s'en remettraient pas. Mrs Potter était la s?ur de Mrs Dursley, mais toutes deux ne s'étaient plus revues depuis des années. En fait, Mrs Dursley faisait comme si elle était fille unique, car sa s?ur et son bon à rien de mari étaient aussi éloignés que possible de tout ce qui faisait un Dursley. Les Dursley tremblaient d'épouvante à la pensée de ce que diraient les voisins si par malheur les Potter se montraient dans leur rue. Ils savaient que les Potter, eux aussi, avaient un petit gar?on, mais ils ne l'avaient jamais vu. Son existence constituait une raison supplémentaire de tenir les Potter à distance : il n'était

pas question que le petit Dudley se mette à fréquenter un enfant comme celui-là.

Lorsque Mr et Mrs Dursley s'éveillèrent, au matin du mardi

où commence cette histoire, il faisait gris et triste et rien dans le ciel nuageux ne laissait prévoir que des choses étranges et mystérieuses allaient bient?t se produire dans tout le pays. Mr Dursley fredonnait un air en nouant sa cravate la plus sinistre pour aller travailler et Mrs Dursley racontait d'un ton badin les derniers potins du quartier en s'effor?ant d'installer sur sa chaise de bébé le jeune Dudley qui braillait de toute la force de ses poumons.

Aucun d'eux ne remarqua le gros hibou au plumage

mordoré qui voleta devant la fenêtre.

A huit heures et demie, Mr Dursley prit son attaché-case, déposa un baiser sur la joue de Mrs Dursley et essaya d'embrasser Dudley, mais sans succès, car celui-ci était en proie à une petite crise de colère et s'appliquait à jeter contre les murs de la pièce le contenu de son assiette de céréales.

— Sacré petit bonhomme, gloussa Mr Dursley en quittant la maison.

Il monta dans sa voiture et recula le long de l'allée qui

menait à sa maison.

Ce fut au coin de la rue qu'il remarqua pour la première fois

un détail insolite : un chat qui lisait une carte routière. Pendant un instant, Mr Dursley ne comprit pas très bien ce qu'il venait de voir. Il tourna alors la tête pour regarder une deuxième fois. Il y avait bien un chat tigré, assis au coin de Privet Drive, mais pas la moindre trace de carte routière. Qu'est-ce qui avait bien pu lui passer par la tête ? Il avait d? se laisser abuser par un reflet du soleil sur le trottoir. Mr Dursley cligna des yeux et regarda fixement le chat. Celui-ci soutint son regard. Tandis qu'il tournait le coin de la rue et s'engageait sur la route, Mr Dursley continua d'observer le chat dans son rétroviseur. L'animal était en train de lire la plaque qui indiquait ? Privet Drive ? - mais non, voyons, il ne lisait pas, il regardait la plaque. Les chats sont incapables de lire des cartes ou des écriteaux. Mr Dursley se ressaisit et chassa le chat tigré de son esprit. Durant le trajet qui le menait vers la ville, il concentra ses

pensées sur la grosse commande de perceuses qu'il espérait

obtenir ce jour-là.

Mais lorsqu'il parvint aux abords de la ville quelque chose d'autre chassa les perceuses de sa tête. Assis au milieu des

habituels embouteillages du matin, il fut bien forcé de

remarquer la présence de plusieurs passants vêtus d'une étrange fa?on : ils portaient des capes. Mr Dursley ne supportait pas les gens qui s'habillaient d'une manière extravagante - les jeunes avaient parfois de ces accoutrements ! Il pensa qu'il s'agissait d'une nouvelle mode particulièrement stupide. Il pianota sur le volant de sa voiture et son regard rencontra un groupe de ces olibrius qui se chuchotaient des choses à l'oreille d'un air surexcité. Mr Dursley s'irrita en voyant que deux d'entre eux n'étaient pas jeunes du tout. Cet homme, là-bas, était s?rement plus ?gé que lui, ce qui ne l'empêchait pas de porter une cape vert émeraude ! Quelle impudence ! Mr Dursley pensa alors qu'il devait y avoir une animation de rue - ces gens étaient probablement là pour collecter de l'argent au profit d'une ?uvre quelconque. Ce ne pouvait être que ?a. La file des voitures se remit en mouvement et quelques minutes plus tard, Mr Dursley se rangea dans le parking de la Grunnings. Les perceuses avaient repris leur place dans ses pensées.

Dans son bureau du huitième étage, Mr Dursley s'asseyait toujours dos à la fenêtre. S'il en avait été autrement, il aurait

sans doute eu un peu plus de mal que d'habitude à se concentrer

sur ses perceuses, ce matin-là. Il ne vit pas les hiboux qui volaient à tire-d'aile en plein jour. Mais en bas, dans la rue, les passants, eux, les voyaient bel et bien. Bouche bée, ils pointaient le doigt vers le ciel, tandis que les rapaces filaient au-dessus de leur tête. La plupart d'entre eux n'avaient jamais vu de hibou, même la nuit. Mr Dursley, cependant, ne remarqua rien d'anormal et aucun hibou ne vint troubler sa matinée. Il réprimanda vertement une demi-douzaine de ses employés, passa plusieurs coups de fil importants et poussa quelques hurlements supplémentaires. Il se sentit d'excellente humeur jusqu'à l'heure du déjeuner où il songea qu'il serait bon de se dégourdir un peu les jambes. Il traversa alors la rue pour aller s'acheter quelque chose à manger chez le boulanger d'en face.

Les passants vêtus de capes lui étaient complètement sortis de la tête, mais lorsqu'il en vit à nouveau quelques-uns à proximité de la boulangerie, il passa devant eux en leur lan?ant un regard courroucé. Il ignorait pourquoi, mais ils le mettaient mal à l'aise. Ceux-là aussi chuchotaient d'un air surexcité et il ne vit pas la moindre bo?te destinée à récolter de l'argent. Quand il sortit de la boutique avec un gros beignet enveloppé dans un sac, il entendit quelques mots de leur conversation.

— Les Potter, c'est ?a, c'est ce que j'ai entendu dire…

— Oui, leur fils, Harry…

Mr Dursley s'immobilisa, envahi par une peur soudaine. Il

tourna la tête vers les gens qui chuchotaient comme s'il s'apprêtait à leur dire quelque chose, mais il se ravisa.

Il traversa la rue en toute h?te, se dépêcha de remonter

dans son bureau, ordonna d'un ton sec à sa secrétaire de ne pas

le déranger, saisit son téléphone et avait presque fini de composer le numéro de sa maison lorsqu'il changea d'avis. Il reposa le combiné et se caressa la moustache. Il réfléchissait… non, décidément, il était idiot. Potter n'était pas un nom si rare. On pouvait être s?r qu'un grand nombre de Potter avaient un fils prénommé Harry Et quand il y repensait, il n'était même pas certain que son neveu se prénomme véritablement Harry. Il n'avait même jamais vu cet enfant. Après tout, il s'appelait peut- être Harvey. Ou Harold. Il était inutile d'inquiéter Mrs Dursley pour si peu. Toute allusion à sa s?ur la mettait dans un tel état ! Et il ne pouvait pas lui en vouloir. Si lui-même avait eu une s?ur comme celle-là… mais enfin quand même, tous ces gens vêtus de capes…

Cet après-midi là, il lui fut beaucoup plus difficile de se

concentrer sur ses perceuses et lorsqu'il quitta les bureaux à cinq heures, il était encore si préoccupé qu'il heurta quelqu'un devant la porte.

— Navré, grommela-t-il au vieil homme minuscule qu'il

avait manqué de faire tomber.

Il se passa quelques secondes avant que Mr Dursley se

rende compte que l'homme portait une cape violette. Le fait d'avoir été ainsi bousculé ne semblait pas avoir affecté son humeur. Au contraire, son visage se fendit d'un large sourire

tandis qu'il répondait d'une petite voix per?ante qui lui attira le regard des passants :

— Ne soyez pas navré, mon cher Monsieur. Rien

aujourd'hui ne saurait me mettre en colère. Réjouissez-vous, puisque Vous-Savez-Qui a enfin disparu. Même les Moldus comme vous devraient fêter cet heureux, très heureux jour !

Le vieil homme prit alors Mr Dursley par la taille et le serra contre lui avant de poursuivre son chemin.

Mr Dursley resta cloué sur place. Quelqu'un qu'il n'avait

jamais vu venait de le prendre dans ses bras. Et l'avait appelé

? Moldu ?, ce qui n'avait aucun sens. Il en était tout retourné et

se dépêcha de remonter dans sa voiture. Il prit alors le chemin de sa maison en espérant qu'il avait été victime de son imagination. C'était bien la première fois qu'il espérait une chose pareille, car il détestait tout ce qui avait trait à l'imagination.

Lorsqu'il s'engagea dans l'allée du numéro 4 de sa rue, la première chose qu'il vit - et qui n'améliora pas son humeur - ce

fut le chat tigré qu'il avait déjà remarqué le matin même. A

présent, l'animal était assis sur le mur de son jardin. Il était s?r qu'il s'agissait bien du même chat. Il reconnaissait les dessins de son pelage autour des yeux.

— Allez, ouste ! s'exclama Mr Dursley.

Le chat ne bougea pas. Il se contenta de le regarder d'un air sévère. Mr Dursley se demanda si c'était un comportement normal pour un chat. Essayant de reprendre contenance, il entra dans sa maison, toujours décidé à ne rien révéler à sa femme.

Mrs Dursley avait passé une journée agréable et parfaitement normale. Au cours du d?ner, elle lui raconta tous

les problèmes que la voisine d'à c?té avait avec sa fille et lui

signala également que Dudley avait appris un nouveau mot :

? Veux pas ! ?. Mr Dursley s'effor?a de se conduire le plus

normalement du monde et après que Dudley eut été mis au lit, il

s'installa dans le salon pour regarder la fin du journal télévisé.

— D'après des témoignages venus de diverses régions, il semblerait que les hiboux se soient comportés d'une bien étrange manière au cours de la journée, dit le présentateur.

Normalement, les hiboux sont des rapaces nocturnes qui attendent la nuit pour chasser leurs proies. Il est rare d'en voir en plein jour. Or, aujourd'hui, des centaines de témoins ont vu ces oiseaux voler un peu partout depuis le lever du soleil. Les experts interrogés ont été incapables d'expliquer les raisons de ce changement de comportement pour le moins étonnant. Voilà qui est bien mystérieux, conclut le présentateur en s'autorisant un sourire. Et maintenant, voici venue l'heure de la météo, avec les prévisions de Jim McGuffin. Alors, Jim, est-ce qu'on doit s'attendre à d'autres chutes de hiboux au cours de la nuit prochaine ?

— ?a, je serais bien incapable de vous le dire, Ted, répondit l'homme de la météo, mais sachez en tout cas que les hiboux n'ont pas été les seuls à se comporter d'une étrange manière. Des téléspectateurs qui habitent dans des régions aussi éloignées les unes des autres que le Kent, le Yorkshire et la c?te est de l'?cosse m'ont téléphoné pour me dire qu'au lieu des averses que j'avais prévues pour aujourd'hui, ils ont vu de véritables pluies d'étoiles filantes ! Peut-être s'agissait-il de feux de joie, bien que ce ne soit pas encore la saison. Quoi qu'il en soit, vous pouvez être s?rs que le temps de la nuit prochaine sera très humide.

Mr Dursley se figea dans son fauteuil, Des pluies d'étoiles

filantes sur tout le pays ? Des hiboux qui volent en plein jour ? Des gens bizarres vêtus de capes ? Et ces murmures, ces murmures sur les Potter…

Mrs Dursley entra dans le salon avec deux tasses de thé.

Décidément, il y avait quelque chose qui n'allait pas. Il fallait lui en parler. Mr Dursley, un peu nerveux, s'éclaircit la gorge.

— Euh… Pétunia, ma chérie, dit-il, tu n'as pas eu de nouvelles de ta s?ur récemment ?

Comme il s'y attendait, son épouse parut choquée et

furieuse. Elle faisait toujours semblant de ne pas avoir de s?ur.

— Non, répondit-elle sèchement. Pourquoi ?

— Ils ont dit un truc bizarre à la télé, grommela Mr Dursley. Des histoires de hiboux,… d'étoiles filantes… et il y avait tout un

tas de gens qui avaient un dr?le d'air aujourd'hui.

— Et alors ? lan?a Mrs Dursley.

chose à voir avec… sa bande…

Mrs Dursley retroussait les lèvres en buvant son thé à petites gorgées. Son mari se demanda s'il allait oser lui raconter

qu'il avait entendu prononcer le nom de ? Potter ?. Il préféra

s'en abstenir. D'un air aussi détaché que possible, il dit :

— Leur fils… Il a à peu près le même ?ge que Dudley, non ?

— J'imagine, répliqua Mrs Dursley avec raideur.

— Comment s'appelle-t-il, déjà ? Howard, c'est ?a ?

— Harry. Un nom très ordinaire, très désagréable, si tu veux mon avis.

— Ah oui, répondit Mr Dursley en sentant son c?ur s'arrêter. Oui, je suis d'accord avec toi.

Il ne dit pas un moi de plus à ce sujet tandis qu'ils montaient l'escalier pour aller se coucher. Pendant que Mrs

Dursley était dans la salle de bains, Mr Dursley se glissa vers la

fenêtre de la chambre et jeta un coup d'?il dans le jardin. Le

chat était toujours là. Il regardait dans la rue comme s'il attendait quelqu'un.

Mr Dursley imaginait-il des choses ? Tout cela avait-il un lien avec les Potter ? Si c'était le cas… S'il s'avérait qu'ils étaient

parents avec des… Non, il ne pourrait jamais le supporter.

Les Dursley se mirent au lit. Mrs Dursley s'endormit très

vite mais son mari resta éveillé, retournant dans sa tête les événements de la journée. La seule pensée qui le consola avant de sombrer enfin dans le sommeil, ce fut que même si les Potter avaient vraiment quelque chose à voir avec ce qui s'était passé, il n'y avait aucune raison pour que lui et sa femme en subissent les conséquences. Les Potter savaient parfaitement ce que Pétunia et lui pensaient des gens de leur espèce… Et il ne voyait pas comment tous deux pourraient être mêlés à ces histoires. Il b?illa et se retourna. Rien de tout cela ne pouvait les affecter.

Et il avait grand tort de penser ainsi.

Tandis que Mr Dursley se laissait emporter dans un sommeil quelque peu agité, le chat sur le mur, lui, ne montrait aucun signe de somnolence. Il restait assis, immobile comme une statue, fixant de ses yeux grands ouverts le coin de Privet Drive. Il n'eut pas la moindre réaction lorsqu'une portière de

passèrent au-dessus de sa tête. Il était presque minuit quand il bougea enfin.

Un homme apparut à l'angle de la rue que le chat avait

observé pendant tout ce temps. Il apparut si soudainement et

dans un tel silence qu'il semblait avoir jailli du sol. La queue du chat frémit, ses yeux se rétrécirent.

On n'avait encore jamais vu dans Privet Drive quelque

chose qui ressembl?t à cet homme. Il était grand, mince et très vieux, à en juger par la couleur argentée de ses cheveux et de sa

barbe qui lui descendaient jusqu'à la taille. Il était vêtu d'une

longue robe, d'une cape violette qui balayait le sol et chaussé de bottes à hauts talons munies de boucles. Ses yeux bleus et brillants étincelaient derrière des lunettes en demi-lune et son long nez crochu donnait l'impression d'avoir été cassé au moins deux fois. Cet homme s'appelait Albus Dumbledore.

Albus Dumbledore n'avait pas l'air de se rendre compte qu'il venait d'arriver dans une rue où tout en lui, depuis son nom

jusqu'à ses bottes, ne pouvait être qu'indésirable. Il était occupé

à chercher quelque chose dans sa longue cape, mais sembla s'apercevoir qu'il était observé, car il leva brusquement les yeux vers le chat qui avait toujours le regard fixé sur lui à l'autre bout de la rue. Pour une raison quelconque, la vue du chat parut l'amuser. Il eut un petit rire et marmonna :

— J'aurais d? m'en douter.

Il avait trouvé ce qu'il cherchait dans une poche intérieure, Apparemment, il s'agissait d'un briquet en argent. Il en releva le capuchon, le tendit au-dessus de sa tête et l'alluma. Le réverbère le plus proche s'éteignit alors avec un petit claquement. L'homme alluma à nouveau le briquet : le réverbère suivant s'éteignit à son tour. Douze fois, il actionna ainsi l'?teignoir jusqu'à ce qu'il ne reste plus aucune lumière dans la rue, à part deux points minuscules qui brillaient au loin : c'étaient les yeux du chat, toujours fixés sur lui. Quiconque aurait regardé par une fenêtre en cet instant, même Mrs Dursley et ses petits yeux per?ants, aurait été incapable de voir le moindre détail de ce qui se passait dans la rue. Dumbledore rangea son ?teignoir dans la poche de sa cape et marcha en direction du numéro 4. Lorsqu'il

y fut parvenu, il s'assit sur le muret, à c?té du chat. Il ne lui accorda pas un regard, mais après un moment de silence, il lui parla :

— C'est amusant de vous voir ici, professeur McGonagall,

dit-il.

Il tourna la tête pour adresser un sourire au chat tigré, mais celui-ci avait disparu. Dumbledore souriait à présent à une femme d'allure sévère avec des lunettes carrées qui avaient exactement la même forme que les motifs autour des yeux du chat. Elle aussi portait une cape, d'un vert émeraude. Ses cheveux étaient tirés en un chignon serré et elle avait l'air singulièrement agacée.

— Comment avez-vous su que c'était moi ? demanda-t-elle.

— Mon cher professeur, je n'ai jamais vu un chat se tenir d'une manière aussi raide.

— Vous aussi, vous seriez un peu raide si vous restiez assis toute une journée sur un mur de briques, répondit le professeur

McGonagall.

— Toute la journée ? Alors que vous auriez pu célébrer

l'événement avec les autres ? En venant ici, j'ai d? voir une

bonne douzaine de fêtes et de banquets.

Le professeur McGonagall renifla d'un air courroucé.

— Oui, oui, je sais, tout le monde fait la fête, dit-elle avec

agacement. On aurait pu penser qu'ils seraient plus prudents, mais non, pas du tout ! Même les Moldus ont remarqué qu'il se passait quelque chose. Ils en ont parlé aux nouvelles.

Elle montra d'un signe de tête la fenêtre du salon des

Dursley, plongé dans l'obscurité.

— Je l'ai entendu moi-même. Ils ont signalé des vols de hiboux… des pluies d'étoiles filantes… Les Moldus ne sont pas

complètement idiots. Il était inévitable qu'ils s'en aper?oivent.

Des étoiles filantes dans le Kent ! Je parie que c'est encore un coup de Dedalus Diggle. Il n'a jamais eu beaucoup de jugeote.

— On ne peut pas leur en vouloir, dit Dumbledore avec douceur. Nous n'avons pas eu grand-chose à célébrer depuis

onze ans.

— Je sais, répliqua le professeur McGonagall d'un ton sévère, mais ce n'est pas une raison pour perdre la tête. Tous ces

gens ont été d'une imprudence folle. Se promener dans les rues en plein jour, à s'échanger les dernières nouvelles sans même prendre la précaution de s'habiller comme des Moldus !

Elle lan?a un regard oblique et per?ant à Dumbledore, comme si elle espérait qu'il allait dire quelque chose, mais il garda le silence.

— Nous serions dans de beaux draps, reprit-elle alors, si le jour où Vous-Savez-Qui semble enfin avoir disparu, les Moldus

s'apercevaient de notre existence. J'imagine qu'il a vraiment

disparu, n'est-ce pas, Dumbledore ?

— Il semble qu'il en soit ainsi, en effet, assura Dumbledore.

Et nous avons tout lieu de nous en féliciter. Que diriez-vous

d'un esquimau au citron ?

— Un quoi ?

— Un esquimau au citron. C'est une friandise que fabriquent les Moldus et je dois dire que c'est plut?t bon.

— Merci, pas pour moi, répondit froidement le professeur

McGonagall qui semblait estimer que le moment n'était pas venu de manger des glaces au citron. Je vous disais donc que même si Vous-Savez-Qui est vraiment parti…

— Mon cher professeur, quelqu'un d'aussi raisonnable que

vous ne devrait pas hésiter à prononcer son nom, ne croyez- vous pas ? Cette fa?on de dire tout le temps ? Vous-Savez-Qui ? n'a aucun sens. Pendant onze ans, j'ai essayé de convaincre les gens de l'appeler par son nom : Voldemort.

Le professeur McGonagall fit une grimace, mais Dumbledore qui avait sorti deux esquimaux au citron ne parut pas le remarquer.

— Si nous continuons à dire ? Vous-Savez-Qui ?, nous allons finir par créer la confusion. Je ne vois aucune raison

d'avoir peur de prononcer le nom de Voldemort.

— Je sais bien que vous n'en voyez pas, répliqua le professeur McGonagall qui semblait moitié exaspérée, moitié admirative. Mais, vous, vous êtes différent des autres. Tout le monde sait que vous êtes le seul à avoir jamais fait peur à Vous- Savez-Qui… ou à Voldemort, si vous y tenez.

— Vous me flattez, dit Dumbledore d'une voix tranquille.

Voldemort dispose de pouvoirs que je n'ai jamais eus.

— C'est simplement parce que vous avez trop de… disons de noblesse pour en faire usage.

— Heureusement qu'il fait nuit. Je n'ai jamais autant rougi

depuis le jour où Madame Pomfresh m'a dit qu'elle trouvait mes

nouveaux cache-oreilles ravissants.

Le professeur McGonagall lan?a un regard per?ant à

Dumbledore.

— Les hiboux, ce n'est rien comparé aux rumeurs qui circulent, déclara-t-elle. Vous savez ce que tout le monde dit sur les raisons de sa disparition ? Ce qui a fini par l'arrêter ?

Apparemment, le professeur McGonagall venait d'aborder le sujet qui lui tenait le plus à c?ur, la véritable raison qui l'avait

décidée à attendre toute la journée, assise sur un mur glacial.

Car jamais un chat ni une femme n'avait fixé Dumbledore d'un regard aussi pénétrant que celui du professeur en cet instant. A l'évidence, elle n'avait pas l'intention de croire ce que ? tout le monde ? disait tant que Dumbledore ne lui aurait pas confirmé qu'il s'agissait bien de la vérité. Dumbledore, cependant, était occupé à choisir un autre esquimau et ne lui répondit pas.

— Ce qu'ils disent, poursuivit le professeur, c'est que Voldemort est venu hier soir à Godric's Hollow pour y chercher les Potter. D'après la rumeur, Lily et James Potter sont… enfin, on dit qu'ils sont… morts…

Dumbledore inclina la tête. Le professeur McGonagall avait du mal à reprendre sa respiration.

— Lily et James… Je n'arrive pas à y croire… Je ne voulais

pas l'admettre… Oh, Albus…

Dumbledore tendit la main et lui tapota l'épaule.

— Je sais… Je sais… dit-il gravement.

— Et ce n'est pas tout, reprit le professeur McGonagall d'une voix tremblante. On dit qu'il a essayé de tuer Harry, le fils des Potter. Mais il en a été incapable. Il n'a pas réussi à supprimer ce bambin. Personne ne sait pourquoi ni comment, mais tout le monde raconte que lorsqu'il a essayé de tuer Harry Potter sans y parvenir, le pouvoir de Voldemort s'est brisé, pour ainsi dire - et c'est pour ?a qu'il a… disparu.

Dumbledore hocha la tête d'un air sombre.

Après tout ce qu'il a fait… tous les gens qu'il a tués… il n'a pas réussi à tuer un petit gar?on ? C'est stupéfiant… rien d'autre n'avait pu l'arrêter… mais, au nom du ciel, comment se fait-il que Harry ait pu survivre ?

— On ne peut faire que des suppositions, répondit

Dumbledore. On ne saura peut-être jamais.

Le professeur McGonagall sortit un mouchoir en dentelle et s'essuya les yeux sous ses lunettes. Dumbledore inspira longuement en prenant dans sa poche une montre en or qu'il consulta. C'était une montre très étrange. Elle avait douze aiguilles, mais pas de chiffres. A la place, il y avait des petites planètes qui tournaient au bord du cadran. Tout cela devait avoir un sens pour Dumbledore car il remit la montre dans sa poche en disant :

— Hagrid est en retard. Au fait, j'imagine que c'est lui qui

vous a dit que je serais ici ?

— Oui, admit le professeur McGonagall, et je suppose que vous n'avez pas l'intention de me dire pour quelle raison vous êtes venu dans cet endroit précis ?

— Je suis venu confier Harry à sa tante et à son oncle. C'est

la seule famille qui lui reste désormais.

— Vous voulez dire… non, ce n'est pas possible ! Pas les gens qui habitent dans cette maison ! s'écria le professeur

McGonagall en se levant d'un bond, le doigt pointé sur le

numéro 4 de la rue. Dumbledore… vous ne pouvez pas faire une chose pareille ! Je les ai observés toute la journée. On ne peut pas imaginer des gens plus différents de nous. En plus, ils ont un fils… je l'ai vu donner des coups de pied à sa mère tout au long de la rue en hurlant pour réclamer des bonbons. Harry Potter, venir vivre ici !

— C'est le meilleur endroit pour lui, répliqua Dumbledore d'un ton ferme. Son oncle et sa tante lui expliqueront tout quand il sera plus grand. Je leur ai écrit une lettre.

— Une lettre ? répéta le professeur McGonagall d'une voix

éteinte en se rasseyant sur le muret. Dumbledore, vous croyez vraiment qu'il est possible d'expliquer tout cela dans une lettre ? Des gens pareils seront incapables de comprendre ce gar?on ! Il

pas étonnée que la date d'aujourd'hui devienne dans l'avenir la fête de Harry Potter. On écrira des livres sur lui. Tous les enfants de notre monde conna?tront son nom !

— C'est vrai, dit Dumbledore en la regardant d'un air très

sérieux par-dessus ses lunettes en demi-lune. Il y aurait de quoi tourner la tête de n'importe quel enfant. ?tre célèbre avant même d'avoir appris à marcher et à parler ! Célèbre pour quelque chose dont il ne sera même pas capable de se souvenir ! Ne comprenez-vous pas qu'il vaut beaucoup mieux pour lui qu'il grandisse à l'écart de tout cela jusqu'à ce qu'il soit prêt à l'assumer ?

Le professeur McGonagall ouvrit la bouche. Elle parut changer d'avis, avala sa salive et répondit :

— Oui… Oui, bien s?r, vous avez raison. Mais comment

l'enfant va-t-il arriver jusqu'ici, Dumbledore ?

Elle regarda soudain sa cape comme si elle pensait que

Harry était peut-être caché dessous.

— C'est Hagrid qui doit l'amener, dit Dumbledore.

— Et vous croyez qu'il est… sage de confier une t?che importante à Hagrid ?

— Je confierais ma propre vie à Hagrid, assura Dumbledore.

— Je ne dis pas qu'il manque de c?ur, répondit le

professeur McGonagall avec réticence, mais reconnaissez qu'il est passablement négligent. Il a tendance à… Qu'est-ce que c'est que ?a ?

Un grondement sourd avait brisé le silence de la nuit. Le

bruit augmenta d'intensité tandis qu'ils scrutaient la rue des deux c?tés pour essayer d'apercevoir la lueur d'un phare. Le grondement se transforma en pétarade au-dessus de leur tête. Ils levèrent alors les yeux et virent une énorme moto tomber du ciel et atterrir devant eux sur la chaussée.

La moto était énorme, mais ce n'était rien comparé à l'homme qui était assis dessus. Il était à peu près deux fois plus

grand que la moyenne et au moins cinq fois plus large. Il était

même tellement grand qu'on avait peine à le croire. On aurait dit un sauvage, avec ses longs cheveux noirs en broussaille, sa barbe qui cachait presque entièrement son visage, ses mains de

bottes en cuir qui avaient l'air de bébés dauphins. L'homme

tenait un tas de couvertures dans ses immenses bras musculeux.

— Hagrid, dit Dumbledore avec soulagement. Vous voilà enfin. Où avez-vous déniché cette moto ?

— L'ai empruntée, professeur Dumbledore, Monsieur,

répondit le géant en descendant avec précaution de la moto.

C'est le jeune Sirius Black qui me l'a prêtée. ?a y est, j'ai réussi à vous l'amener, Monsieur.

— Vous n'avez pas eu de problèmes ?

— Non, Monsieur. La maison était presque entièrement détruite mais je me suis débrouillé pour le sortir de là avant que

les Moldus commencent à rappliquer. Il s'est endormi quand on

a survolé Bristol.

Dumbledore et le professeur McGonagall se penchèrent sur

le tas de couvertures. A l'intérieur, à peine visible, un bébé dormait profondément. Sous une touffe de cheveux d'un noir de jais, ils distinguèrent sur son front une étrange coupure en forme d'éclair.

— C'est là que ?… murmura le professeur McGonagall.

— Oui, répondit Dumbledore. Il gardera cette cicatrice à tout jamais.

— Vous ne pourriez pas arranger ?a, Dumbledore ?

— Même si je le pouvais, je ne le ferais pas. Les cicatrices sont parfois utiles. Moi-même, j'en ai une au-dessus du genou gauche, qui représente le plan exact du métro de Londres. Donnez-le-moi, Hagrid, il est temps de faire ce qu'il faut.

Dumbledore prit Harry dans ses bras et se tourna vers la maison des Dursley.

— Est-ce que… est-ce que je pourrais lui dire au revoir, Monsieur ? demanda Hagrid.

Il pencha sa grosse tête hirsute vers Harry et lui donna un baiser qui devait être singulièrement piquant et r?peux. Puis,

soudain, Hagrid laissa échapper un long hurlement de chien blessé.

— Chut ! siffla le professeur McGonagall. Vous allez réveiller les Moldus !

grand mouchoir à pois dans lequel il enfouit son visage, mais je… je n'arrive pas à m'y faire… Lily et James qui meurent et ce pauvre petit Harry qui va aller vivre avec les Moldus…

— Oui, je sais, c'est très triste, mais ressaisissez-vous, Hagrid, sinon, nous allons nous faire repérer, chuchota le

professeur McGonagall en tapotant doucement le bras de

Hagrid tandis que Dumbledore enjambait le muret du jardin et

s'avan?ait vers l'entrée de la maison.

Avec précaution, il déposa Harry devant la porte, sortit une lettre de sa cape, la glissa entre les couvertures, puis revint vers les deux autres. Pendant un long moment, tous trois restèrent immobiles, c?te à c?te, à contempler le petit tas de couvertures. Les épaules de Hagrid tremblèrent, le professeur McGonagall battit des paupières avec frénésie et la lueur qui brillait habituellement dans le regard de Dumbledore sembla s'éteindre.

— Eh bien voilà, dit enfin Dumbledore. Il est inutile de rester ici. Autant rejoindre les autres pour faire la fête.

— Oui, dit Hagrid d'une voix étouffée. Je vais aller rendre sa

moto à Sirius. Bonne nuit, professeur McGonagall, bonne nuit, professeur Dumbledore, Monsieur.

Essuyant d'un revers de manche ses yeux ruisselants de

larmes, Hagrid enfourcha la moto et mit le moteur en route. Dans un vrombissement, la moto s'éleva dans les airs et disparut dans la nuit.

— A bient?t, j'imagine, professeur McGonagall, dit

Dumbledore avec un signe de tête.

Pour toute réponse, le professeur McGonagall se moucha. Dumbledore fit volte-face et s'éloigna le long de la rue. Il

s'arrêta au coin et reprit dans sa poche l'?teignoir d'argent. Il

l'actionna une seule fois et une douzaine de boules lumineuses regagnèrent aussit?t les réverbères. Privet Drive fut soudain baigné d'une lumière orangée et Dumbledore distingua la silhouette d'un chat tigré qui tournait l'angle de la rue. Il aper?ut également le tas de couvertures devant la porte du numéro 4.

— Bonne chance, Harry, murmura-t-il.

Il se retourna et disparut dans un bruissement de cape.

Une brise agitait les haies bien taillées de Privet Drive. La rue était propre et silencieuse sous le ciel d'encre. Jamais on n'aurait imaginé que des événements extraordinaires puissent se dérouler dans un tel endroit. Harry Potter se retourna sous ses couvertures sans se réveiller. Sa petite main se referma sur la lettre posée à c?té de lui et il continua de dormir sans savoir qu'il était un être exceptionnel, sans savoir qu'il était déjà célèbre, sans savoir non plus que dans quelques heures, il serait réveillé par le cri de Mrs Dursley qui ouvrirait la porte pour sortir les bouteilles de lait et que pendant des semaines, il serait piqué et pincé par son cousin Dudley… Il ne savait pas davantage qu'en ce moment même, des gens s'étaient rassemblés en secret dans tout le pays et qu'ils levaient leur verre en murmurant : ? A la santé de Harry Potter. Le survivant ! ?

2

UNE VITRE DISPARA?T

Il s'était passé près de dix ans depuis que les Dursley avaient trouvé au saut du lit leur neveu devant la porte, mais Privet Drive n'avait quasiment pas changé. Ce jour-là, le soleil se leva sur les mêmes petits jardins proprets en faisant étinceler la plaque de cuivre qui portait le numéro 4, à l'entrée de la maison des Dursley. La lumière du matin s'infiltra dans un living-room exactement semblable, à quelques détails près, à celui où Mr Dursley avait appris par la télévision le fameux vol des hiboux, de sinistre mémoire. Seules les photos exhibées sur le manteau de la cheminée donnaient une idée du temps qui s'était écoulé depuis cette date. Dix ans plus t?t, on distinguait sur les nombreux clichés exposés quelque chose qui ressemblait à un gros ballon rose coiffé de bonnets à pompons de différentes couleurs. Mais Dudley Dursley n'était plus un bébé et à présent, les photos montraient un gros gar?on blond sur son premier vélo, sur un manège de fête foraine, devant un ordinateur en compagnie de son père ou serré dans les bras de sa mère qui le couvrait de baisers. Rien dans la pièce ne laissait deviner qu'un autre petit gar?on habitait la même maison.

Et pourtant, Harry Potter était toujours là, encore endormi pour le moment, mais plus pour longtemps. Car sa tante Pétunia était bien réveillée et ce fut sa voix per?ante qui rompit pour la première fois le silence du matin.

— Allez, debout ! Immédiatement !

Harry se réveilla en sursaut. Sa tante tambourina à la porte.

— Vite, debout ! hurla-t-elle de sa voix suraigu?.

Harry l'entendit s'éloigner vers la cuisine et poser une poêle sur la cuisinière. Il se tourna sur le dos et essaya de se rappeler le rêve qu'il était en train de faire. C'était un beau rêve, avec une

moto qui volait, et il eut l'étrange impression d'avoir déjà fait le

même rêve auparavant.

Sa tante était revenue derrière la porte.

— ?a y est ? Tu es levé ? demanda-t-elle.

— Presque, répondit Harry.

— Allez, dépêche-toi, je veux que tu surveilles le bacon. Ne le laisse surtout pas br?ler. Tout doit être absolument parfait le jour de l'anniversaire de Dudley.

Harry émit un grognement.

— Qu'est-ce que tu dis ? glapit sa tante derrière la porte.

— Rien, rien…

L'anniversaire de Dudley ! Comment avait-il pu l'oublier ? Harry se glissa lentement hors du lit et chercha ses chaussettes. Il en trouva une paire sous le lit, et après avoir chassé l'araignée qui s'était installée dans l'une d'elles, il les enfila. Harry était habitué aux araignées. Le placard sous l'escalier en était plein. Or, c'était là qu'il dormait.

Lorsqu'il eut fini de s'habiller, il sortit dans le couloir et alla dans la cuisine. La table avait presque entièrement disparu sous une montagne de cadeaux. Apparemment, Dudley avait eu le nouvel ordinateur qu'il désirait tant, sans parler de la deuxième télévision et du vélo de course. La raison pour laquelle Dudley voulait un vélo de course restait mystérieuse aux yeux de Harry, car Dudley était très gros et détestait faire du sport - sauf bien s?r lorsqu'il s'agissait de boxer quelqu'un. Son punching-ball préféré, c'était Harry, mais il était rare qu'il parvienne à l'attraper. Même s'il n'en avait pas l'air, Harry était très rapide.

Peut-être était-ce parce qu'il vivait dans un placard, en tout cas, Harry avait toujours été petit et maigre pour son ?ge. Il paraissait d'autant plus petit et maigre qu'il était obligé de porter les vieux vêtements de Dudley qui était à peu près quatre fois plus gros que lui. Harry avait un visage mince, des genoux noueux, des cheveux noirs et des yeux d'un vert brillant. Il portait des lunettes rondes qu'il avait fallu rafistoler avec du papier collant à cause des nombreux coups de poing que Dudley lui avait donnés sur le nez. La seule chose que Harry aimait bien dans son apparence physique, c'était la fine cicatrice qu'il portait sur le front et qui avait la forme d'un éclair. Aussi loin

que remontaient ses souvenirs, il avait toujours eu cette cicatrice et la première question qu'il se rappelait avoir posée à sa tante Pétunia, c'était : comment lui était-elle venue ?

— Dans l'accident de voiture qui a tué tes parents, avait-elle répondu. Et ne pose pas de questions.

Ne pose pas de questions – c'était la première règle à observer si l'on voulait vivre tranquille avec les Dursley.

L'oncle Vernon entra dans la cuisine au moment où Harry retournait les tranches de bacon dans la poêle.

— Va te peigner ! aboya Mr Dursley en guise de bonjour.

Une fois par semaine environ, l'oncle Vernon levait les yeux

de son journal pour crier haut et fort que Harry avait besoin de se faire couper les cheveux. Harry s'était fait couper les cheveux plus souvent que tous ses camarades de classe réunis, mais on ne voyait pas la différence, ils continuaient à pousser à leur guise - c'est-à-dire dans tous les sens.

Harry était en train de faire cuire les ?ufs au plat lorsque

Dudley arriva dans la cuisine en compagnie de sa mère, Dudley ressemblait beaucoup à l'oncle Vernon. Il avait une grosse figure rose, un cou presque inexistant, de petits yeux bleus humides et d'épais cheveux blonds qui s'étalaient au sommet de sa tête épaisse et grasse. La tante Pétunia disait souvent que Dudley avait l'air d'un chérubin - et Harry disait souvent qu'il avait l'air d'un cochon avec une perruque.

Harry essaya de disposer sur la table les assiettes remplies

d'?ufs au bacon, ce qui n'était pas facile en raison du peu de place qui restait. Pendant ce temps, Dudley comptait ses cadeaux. Lorsqu'il eut terminé, ses joues s'affaissèrent.

— Trente-six, dit-il en levant les yeux vers ses parents. ?a fait deux de moins que l'année dernière.

— Mon petit chéri, tu n'as pas compté le cadeau de la tante

Marge, regarde, il est là, sous ce gros paquet que Papa et

Maman t'ont offert.

— D'accord, ?a fait trente-sept, dit Dudley qui commen?ait à devenir tout rouge.

Harry, qui sentait venir une de ces grosses colères dont

Dudley avait le secret, s'empressa d'engloutir ses ?ufs au bacon

avant que l'idée vienne à son cousin de renverser la table. De

toute évidence, la tante Pétunia avait également senti le danger.

— Et nous allons encore t'acheter deux autres cadeaux, dit-

elle précipitamment, quand nous sortirons tout à l'heure. Qu'est-ce que tu en dis, mon petit agneau ? Deux autres cadeaux. ?a te va ?

Dudley réfléchit un bon moment. Apparemment, c'était un

exercice difficile. Enfin, il dit lentement :

— Donc, j'en aurai trente… trente…

— Trente-neuf, mon canard adoré, dit la tante Pétunia.

— Bon, dans ce cas, ?a va.

Dudley se laissa tomber lourdement sur une chaise et attrapa le paquet le plus proche.

L'oncle Vernon eut un petit rire.

— Le petit bonhomme en veut pour son argent, comme son

père. C'est très bien, Dudley ! dit-il en ébouriffant les cheveux de son fils.

A ce moment, le téléphone sonna et la tante Pétunia alla

répondre pendant que Harry et l'oncle Vernon regardaient

Dudley déballer le vélo de course, un caméscope, un avion radiocommandé, seize nouveaux jeux vidéo et un magnétoscope. Il était occupé à déchirer le papier qui enveloppait une montre en or lorsque la tante Pétunia revint dans la cuisine, l'air à la fois furieux et inquiet.

— Mauvaise nouvelle, Vernon. Mrs Figg s'est cassé une

jambe. Elle ne pourra pas le prendre, dit-elle en montrant Harry

d'un signe de tête.

Horrifié, Dudley resta bouche bée. Harry, lui, sentit son c?ur bondir de joie. Chaque année, le jour de l'anniversaire de Dudley, ses parents l'emmenaient avec un ami dans des parcs d'attractions, au cinéma ou dans des fast-foods où il pouvait se gaver de hamburgers. Et chaque année, on confiait Harry à Mrs Figg, une vieille folle qui habitait un peu plus loin. Harry détestait aller là-bas. Toute la maison sentait le chou et Mrs Figg passait son temps à lui montrer les photos de tous les chats qu'elle avait eus.

— C'est malin ! dit la tante Pétunia en jetant un regard furieux à Harry comme si c'était lui qui était responsable de la situation.

Harry savait bien qu'il aurait d? éprouver un peu de compassion pour cette pauvre Mrs Figg, mais ce n'était pas facile, car il pensait surtout qu'il s'écoulerait encore une année entière avant qu'il soit obligé de regarder à nouveau les photos de Pompom, Patounet, Mistigri et Mignonnette.

— On pourrait peut-être téléphoner à Marge, suggéra l'oncle

Vernon.

— Ne dis pas de bêtises, Vernon, tu sais bien qu'elle déteste

cet enfant.

Les Dursley parlaient souvent de Harry de cette fa?on, en

faisant comme s'il n'était pas là - ou plut?t comme s'il était un être dégo?tant, une sorte de limace incapable de comprendre ce qu'ils disaient.

— Et ton amie… comment s'appelle-t-elle déjà ? Ah oui, Yvonne…

— Elle est en vacances à Majorque, répliqua sèchement la

tante Pétunia.

— Vous n'avez qu'à me laisser ici, intervint Harry plein d'espoir.

Pour une fois, il pourrait regarder ce qu'il voudrait à la

télévision et peut-être même essayer l'ordinateur de Dudley.

On aurait dit que la tante Pétunia venait d'avaler un citron

entier.

— C'est ?a, grin?a-t-elle, et quand nous reviendrons, la maison sera en ruine ?

— Je ne ferai pas sauter la maison, assura Harry, mais ils ne

l'écoutaient plus.

— Nous pourrions peut-être l'emmener au zoo, dit la tante

Pétunia, et le laisser dans la voiture en nous attendant.

— La voiture est toute neuve, pas question de le laisser tout seul dedans, trancha Mr Dursley.

Dudley se mit à pleurer bruyamment. En fait, il ne pleurait

pas pour de bon. Il y avait des années qu'il ne versait plus de vraies larmes, mais il savait que dès qu'il commen?ait à se

tordre le visage en gémissant, sa mère était prête à lui accorder

tout ce qu'il voulait.

— Mon Dudlynouchet adoré, ne pleure pas. Maman ne va pas le laisser g?cher ta plus belle journée, s'écria Mrs Dursley en

le serrant dans ses bras.

— Je… veux… pas… qu'il… vienne ! hurla Dudley d'une voix

secouée de faux sanglots. Il g?che… toujours tout !

Dudley adressa alors à Harry un horrible sourire entre les bras de sa mère.

Au même moment, la sonnette de la porte d'entrée retentit.

— Oh, mon Dieu, les voilà ! dit précipitamment la tante

Pétunia.

Un instant plus tard, Piers Polkiss, le meilleur ami de

Dudley, entra dans la maison en compagnie de sa mère. Piers était un gar?on efflanqué avec une tête de rat. Quand Dudley tapait sur quelqu'un, c'était toujours lui qui tenait par-derrière les mains de la victime, pour l'empêcher de se défendre. Dudley cessa aussit?t sa comédie.

Une demi-heure plus tard, Harry, qui n'en croyait pas sa

chance, était assis à l'arrière de la voiture des Dursley, en compagnie de Piers et Dudley. Pour la première fois de sa vie, il allait visiter le zoo. Son oncle et sa tante n'avaient pas trouvé d'autre solution que de l'emmener avec eux, mais avant de partir, l'oncle Vernon avait pris Harry à part.

— Je te préviens, avait-il dit, sa grosse figure rouge tout

contre le visage de Harry, je te préviens que s'il se produit la moindre chose bizarre, tu ne sortiras pas de ce placard avant No?l.

— Je ne ferai rien, assura Harry c'est promis.

Mais l'oncle Vernon ne le croyait pas. Personne ne le croyait

jamais.

Le problème, c'était qu'il se passait souvent des choses étranges autour de Harry et les Dursley refusaient de croire qu'il n'y était pour rien.

Un jour, la tante Pétunia, fatiguée de voir Harry sortir de

chez le coiffeur avec la même tête que s'il n'y était pas allé du tout, avait pris une paire de gros ciseaux et lui avait coupé les cheveux si court qu'il en était devenu presque chauve. Elle

n'avait laissé qu'une frange ? pour cacher cette horrible cicatrice ?. Dudley s'était écroulé de rire en voyant le résultat et Harry n'avait pas pu dormir de la nuit en imaginant ce qui allait se passer le lendemain à l'école, où déjà on se moquait de ses vêtements trop grands et de ses lunettes rafistolées au papier collant. Au matin, cependant, il s'était aper?u que ses cheveux avaient repoussé tels qu'ils étaient avant que la tante Pétunia ne les coupe. Il avait été puni d'une semaine de placard sans sortir, malgré tous ses efforts pour essayer de leur faire admettre qu'il ne comprenait pas ce qui avait bien pu se passer.

Une autre fois, la tante Pétunia avait voulu le forcer à mettre un vieux pull de Dudley (une horreur marron avec des pompons

orange), mais plus elle essayait de lui faire passer la tête à

l'intérieur du pull, plus celui-ci rapetissait. Finalement, il s'était trouvé réduit à la taille d'un gant de poupée et la tante Pétunia en avait conclu qu'il avait rétréci au lavage. A son grand soulagement, Harry, cette fois-là, n'avait re?u aucune punition.

En revanche, il avait eu de sérieux ennuis à l'école, le jour où on l'avait retrouvé sur le toit de la cantine. La bande de Dudley l'avait poursuivi dans la cour comme à l'accoutumée lorsque, à la grande surprise de tout le monde, y compris de Harry lui-même, il s'était retrouvé assis au sommet de la cheminée. Les Dursley avaient re?u une lettre furieuse de la directrice dans laquelle elle affirmait que Harry s'amusait à escalader les b?timents de l'école. Pourtant, comme il l'avait expliqué à l'oncle Vernon à travers la porte verrouillée de son placard, il s'était contenté de sauter derrière les poubelles qui se trouvaient à c?té de la porte de la cuisine. Harry pensait que c'était le vent qui avait d? l'emporter jusqu'au toit au moment où il sautait.

Mais aujourd'hui, tout irait bien. Cela valait même la peine de supporter Dudley et Piers du moment qu'il pouvait passer la

journée dans un endroit qui ne serait ni l'école, ni le placard, ni

le salon à l'odeur de chou de Mrs Figg.

Tandis qu'il conduisait la voiture, l'oncle Vernon se

plaignait à la tante Pétunia. Il aimait bien se plaindre de choses et d'autres. Les gens qui travaillaient avec lui, Harry, la municipalité, Harry, son banquier et Harry constituaient

quelques-uns de ses sujets préférés. Ce matin-là, c'était aux motos qu'il en avait.

— … conduisent comme des malades, ces petits voyous ! dit-

il alors qu'une moto les dépassait.

— J'ai rêvé d'une moto, cette nuit, dit Harry qui se

souvenait soudain de son rêve. Elle volait.

L'oncle Harry faillit percuter la voiture qui le précédait. Il se retourna brusquement, son visage si rouge qu'il ressemblait à

une énorme betterave à moustache.

— LES MOTOS NE VOLENT PAS ! hurla-t-il. Dudley et Piers ricanèrent.

— Je le sais bien, répondit Harry, ce n'était qu'un rêve.

Mais il regretta d'en avoir trop dit. Plus encore que les questions qu'il posait, les Dursley détestaient l'entendre parler

d'objets qui sortaient de leur r?le habituel, que ce soit dans un

rêve ou un dessin animé, comme s'ils redoutaient qu'il n'en tire

des idées dangereuses.

C'était un samedi ensoleillé et le zoo était bondé de familles en promenade. Les Dursley achetèrent à Dudley et à Piers de grosses glaces au chocolat. Mais, avant qu'ils aient eu le temps de repartir, la jeune femme souriante qui vendait les glaces avait demandé à Harry ce qu'il voulait et ils avaient fini par lui acheter une sucette à bon marché. Elle n'était d'ailleurs pas si mauvaise que ?a, pensa Harry tandis qu'il la léchait devant la cage d'un gorille occupé à se gratter la tête. L'animal ressemblait étrangement à Dudley, sauf qu'il n'était pas blond.

Il y avait bien longtemps que Harry n'avait pas passé une

matinée aussi agréable. Il prenait la précaution de se tenir un peu à l'écart des Dursley pour éviter que Dudley et Piers, qui commen?aient à se lasser des animaux, ne se consacrent une fois de plus à leur passe-temps favori : lui taper dessus. Ils déjeunèrent au restaurant du zoo où Dudley fit une grosse colère parce que sa coupe de glace géante n'était pas assez grande à son go?t. L'oncle Vernon lui en commanda une autre et Harry fut autorisé à finir la première.

Mais Harry aurait d? s'en douter : tout cela était trop beau pour durer.

Après déjeuner, ils allèrent voir les reptiles au vivarium.

L'endroit était sombre et frais, avec des cages de verre éclairées qui s'alignaient le long des murs. Derrière les vitres, on voyait toutes sortes de lézards et de serpents qui rampaient et ondulaient sur des morceaux de pierre ou de bois. Dudley et Piers voulaient voir d'énormes cobras au venin mortel et de gros pythons capables de broyer un homme dans leur étreinte. Dudley ne mit pas longtemps à dénicher le plus grand serpent du vivarium. Il était si long qu'il aurait pu s'enrouler deux fois autour de la voiture de l'oncle Vernon et la réduire en un petit tas de ferraille, mais pour l'instant, il ne semblait pas d'humeur à tenter ce genre d'exploit. En fait, il dormait profondément.

Le nez collé contre la vitre, Dudley contemplait les anneaux luisants du reptile.

— Fais-le bouger, dit-il à son père d'une voix geignarde. L'oncle Vernon tapota la vitre, mais le serpent ne bougea

pas.

— Recommence, ordonna Dudley.

L'oncle Vernon donna de petits coups secs sur la vitre, mais

le serpent continua de dormir.

— On s'ennuie, ici, marmonna Dudley en s'éloignant d'un

pas tra?nant.

Harry s'approcha alors de la cage de verre et contempla le serpent. Il n'aurait pas été surpris que le reptile soit lui-même mort d'ennui à force de rester seul dans cette cage sans autre compagnie que tous ces imbéciles qui passaient la journée à taper contre la vitre. C'était pire que de coucher dans un placard avec pour toute visite celle de la tante Pétunia qui tambourinait à la porte pour le réveiller. Lui, au moins, pouvait se déplacer dans la maison.

Le serpent ouvrit soudain ses petits yeux brillants. Lentement, très lentement, il leva la tête jusqu'à ce qu'elle soit au même niveau que celle de Harry.

Et il lui fit un clin d'?il.

Harry resta bouche bée. Il jeta un coup d'?il autour de lui pour s'assurer que personne ne le regardait, puis il adressa à son tour un clin d'?il au serpent.

Le reptile fit un signe de tête en direction de l'oncle Vernon et de Dudley, puis il leva les yeux au plafond. Il semblait dire à Harry : ? J'ai droit à ?a sans arrêt. ?

— Je sais, murmura Harry, sans savoir si le serpent pouvait

l'entendre à travers la vitre. ?a doit être vraiment aga?ant.

Le serpent approuva d'un hochement de tête vigoureux.

— D'où tu viens ? demanda Harry.

Le serpent pointa le bout de la queue vers le petit écriteau apposé à c?té de la vitre.

— Boa constrictor - Brésil, lut Harry. C'était bien, là-bas ?

demanda-t-il.

Le boa pointa à nouveau la queue vers l'écriteau et Harry lut

la suite : ? Né à la ménagerie ?.

— Ah, d'accord, je comprends. Donc, tu n'as jamais été au

Brésil ?

Tandis que le serpent confirmait d'un signe de tête, un hurlement assourdissant retentit et les fit sursauter tous les deux.

— DUDLEY ! MR DURSLEY ! REGARDEZ LE SERPENT !

VOUS N'ALLEZ PAS LE CROIRE !

Dudley revint vers la cage en se dandinant aussi vite qu'il le

pouvait.

— Pousse-toi de là, toi, dit-il en donnant à Harry un coup de poing dans les c?tes.

Pris par surprise, Harry tomba sur le sol de ciment. Ce qui

se passa ensuite fut tellement rapide que personne ne vit comment c'était arrivé. Soudain, alors qu'ils se tenaient c?te à c?te devant la cage de verre, Piers et Dudley firent un bond en arrière en poussant des cris d'horreur.

Harry se redressa, le souffle coupé : la vitre qui retenait le boa prisonnier avait disparu. Le long serpent se déroula rapidement et quitta sa cage en ondulant sur le sol. Pris de panique, les visiteurs du vivarium se précipitèrent alors vers la sortie en hurlant de terreur.

Au moment où le serpent glissa rapidement devant lui, Harry eut l'impression d'entendre une voix basse et sifflante

dire :

— Et maintenant, direction, le Brésil ! Merssssi, amigo.

Le gardien du vivarium était en état de choc.

— La vitre, répétait-il. Où est passée la vitre ?

Le directeur du zoo en personne offrit une tasse de thé fort à la tante Pétunia et se confondit en excuses. Piers et Dudley

balbutiaient d'un air ahuri. D'après ce que Harry avait pu voir,

le serpent ne leur avait fait aucun mal, il s'était contenté de claquer des m?choires tout près de leurs mollets pour s'amuser à leur faire peur, mais quand tout le monde eut repris place dans la voiture de l'oncle Vernon, Dudley raconta que le boa avait failli lui arracher la jambe tandis que Piers affirmait qu'il avait essayé de l'étouffer en s'enroulant autour de lui. Mais le pire, pour Harry tout au moins, ce fut lorsque Piers, qui s'était un peu calmé, dit :

— Harry a parlé au serpent, pas vrai, Harry ?

L'oncle Vernon attendit que Piers f?t rentré chez lui pour s'en prendre à Harry. Sa fureur était telle qu'il pouvait à peine

parler. Il parvint seulement à dire :

— File… placard… pas bouger… rien à manger.

Puis il s'effondra dans un fauteuil et la tante Pétunia se h?ta d'aller lui chercher un grand verre de cognac.

Beaucoup plus tard, Harry, allongé dans son placard, se

désolait de ne pas avoir de montre. Il n'avait aucune idée de l'heure et il ne savait pas si les Dursley étaient déjà couchés. Tant qu'ils ne dormaient pas, il ne pouvait pas se risquer dans la cuisine pour aller chercher discrètement quelque chose à manger.

Il avait passé dix ans chez les Dursley, dix années sinistres, depuis que ses parents étaient morts dans cet accident de

voiture alors qu'il n'était encore qu'un bébé. Il ne se souvenait

pas d'avoir été dans la voiture lorsque ses parents aient été tués. Parfois, seul dans son placard, il fouillait dans ses souvenirs pendant des heures entières et une étrange vision émergeait de sa mémoire : il revoyait un éclair aveuglant de lumière verte et se souvenait d'une br?lure douloureuse sur le front. C'était sans doute le choc de l'accident, pensait-il, bien qu'il n'e?t aucune idée de l'origine de la lumière verte. Il ne se rappelait rien de ses parents. Son oncle et sa tante ne lui en parlaient jamais et, bien entendu, il n'avait pas le droit de poser de questions à ce sujet. Il n'y avait même aucune photo d'eux dans la maison.

Lorsqu'il était plus jeune, Harry avait souvent rêvé qu'un parent lointain et inconnu vienne le chercher et l'emmène avec lui, mais cela n'était jamais arrivé. Les Dursley étaient sa seule famille. Parfois, cependant, il lui semblait (ou peut-être était-ce un simple espoir) que des gens qu'il croisait au dehors le reconnaissaient. C'étaient d'ailleurs des gens très étranges. Un jour, un homme minuscule coiffé d'un chapeau haut de forme violet s'était incliné devant lui pendant qu'il faisait des courses avec Dudley et la tante Pétunia. Après lui avoir demandé d'un air furieux s'il connaissait cet homme, la tante Pétunia s'était dépêchée de les faire sortir du magasin sans avoir rien acheté. Un autre jour, dans un bus, une vieille femme échevelée, tout habillée de vert, lui avait fait de grands signes de la main. Récemment encore, un homme chauve dans un long manteau pourpre lui avait serré la main dans la rue, puis était reparti sans dire un mot. Le plus étrange, c'était que tous ces gens semblaient toujours dispara?tre dès que Harry essayait de les regarder de plus près.

A l'école, Harry n'avait pas d'ami. Tout le monde savait que la bande de Dudley détestait Harry Potter, avec ses vêtements trop grands et ses lunettes cassées, et personne n'avait envie de déplaire à la bande de Dudley.