Note de l'auteur : Cette histoire n'a pas de position précise dans la chronologie de l'?uvre originale, si ce n'est qu'elle se déroule après le couronnement de John, et commence avant l'épisode 200. Néanmoins, une partie du contenu des chapitres postérieurs sera très certainement évoquée. Je recommande donc chaudement d'être à jour de la VO avant de débuter la lecture de cette fanfiction.

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NDA : Vous pourrez trouver cette histoire sur le blog skyrock de HetaliaTheWorldVillage ; nul plagiat, il s'agit de mon propre blog.
Ceci est une fanfiction ; tous droits réservés à Uru-chan.

Brasier

Arlo devait l'admettre ; s'il avait bien des raisons de ha?r John, il n'arrivait pas à se dire que son camarade ait mérité un tel sort. D'ailleurs, il était terrifiant d'imaginer qu'il existait une personne capable de massacrer celui que son école avait baptisé ? Joker ?. Le blond ne pouvait réprimer les frissons d'horreur qui le secouaient parfois. Il aurait d? estimer que John avait simplement rencontré quelqu'un comme lui ; un dangereux malade incapable de se mesurer, de s'arrêter, et s'en satisfaire… Mais le brun était dans le coma depuis un mois et le personnel soignant n'osait même pas s'avancer quant à un réveil prochain. Pour autant, ce qui achevait de soulever le c?ur du roi de Wellston, que tous -ou presque- considéraient encore comme tel bien qu'il ait été officiellement détr?né, c'était l'odeur de chair br?lée qui ne quittait pas la pièce.

Ce parfum infect embaumait l'air. Lorsqu'il était entré dans la chambre pour la première fois, il avait bien cru défaillir. L'infirmière qui l'avait guidé lui avait même demandé d'attendre quelques minutes dans le couloir, le temps d'aérer, avant de lui rapporter un verre d'eau et lui offrir un sourire crispé. Arlo était, d'une certaine manière, soulagé par la présence des innombrables bandages qui momifiaient presque John ; ils dissimulaient une partie du tableau. Et c'était les lèvres pincées que le blond veillait, en alternance avec d'autres de ses camarades, celui qui avait semé le chaos dans l'école. Arlo ne le digérait pas ; il avait perdu, deux fois. Il avait failli à ses responsabilités et tenir compagnie au Joker était bien le dernier de ses projets. Mais comment aurait-il pu refuser son soutien à Seraphina ?

John avait disparu depuis une semaine. Personne ne savait si c'était une bonne ou une mauvaise nouvelle. Le portable de la jeune fille avait sonné. Elle avait paru décontenancée un instant, avant de décrocher. Elle s'était bient?t liquéfiée, mise à trembler, avant que ses yeux ne ricochent partout autour d'elle, comme si les murs avaient commencé à l'oppresser, la broyer. ? J'arrive. ?, avait-elle déclaré d'une voix blanche. Evie, qui se trouvait avec elle à ce moment, avait eu toutes les peines du monde à obtenir la plus petite explication. Puis elle s'était empressée de passer un coup de fil à Remi, en regardant l'impotente s'éloigner. John était à l'h?pital ; son père venait de prévenir ce qu'il croyait encore être l'amie de son fils. Ainsi s'étaient-ils aussit?t tous retrouvés embarqués dans cette histoire ; Arlo, Remi, Blyke, Isen, Elaine…

William Doe avait serré Seraphina dans ses bras à l'instant où elle s'était approchée de lui, qui l'attendait à la sortie de l'h?pital pour lui résumer la situation. Il s'exprima aussi posément qu'un père pouvait le faire en de pareilles circonstances. L'incendie dont les informations avaient parlé, celui qui avait ravagé un parc entier avant de venir lécher les b?timents alentour… Ce feu qui avait résisté trop étrangement aux efforts des pompiers. Ces flammes au travers desquelles John s'était tra?né jusqu'à ce que les secours le repèrent. Il avait été conduit à l'h?pital. William avait été contacté. Après quelques jours de soins intensifs, il avait été autorisé à rendre visite à son fils. Une semaine après l'incident, il s'était enfin résolu à avertir la seule amie qu'il connaissait au blessé. Si elle le voulait, elle pouvait…

L'as avait acquiescé sans que l'homme ait besoin de poursuivre sa phrase, sans un mot sur le Joker, que personne ne mentionna devant William. Respectant la volonté de Seraphina, les cinq autres adolescents avaient provisoirement jeté l'épineuse question du comportement de John sous le tapis. Par la suite, l'un d'entre eux avait toujours accompagné l'impotente lors de ses visites au brun. Cependant, rapidement, l'épuisement contre lequel elle luttait était devenu une évidence pour chacun d'entre eux. Elle ne devait plus venir aussi souvent. Il lui fallait dormir, réussir à se concentrer sur ses études, faire autre chose de ses soirées que s'infliger un spectacle qu'elle n'encaissait pas. Elle avait constamment le regard dans le vide ou les larmes aux yeux. ?a ne pouvait plus durer.

Voilà comment les six camarades s'étaient retrouvés à se répartir les visites, William venant en journée, eux débarquant après les cours. Un mois après l'admission de John à l'h?pital, Arlo était donc assis à son chevet, bras croisés sur son torse, fixant tant?t le paysage à travers la fenêtre, tant?t les quelques objets apportés, oubliés par ses amis ou William, tant?t ce qu'il était possible de voir du visage décomposé du blessé. Et là, le blond ne pouvait nier son malaise. Dans son coma, le Joker semblait souffrir. Pire encore, il laissait transpara?tre une émotion des plus troublantes ; la peur. Revivait-il son agression ? Ou d'autres événements ? Le roi de Wellston avait eu le temps d'y réfléchir, d'aborder le problème sous tous les angles. La confiance. John n'avait confiance en personne. C'est pourquoi il était terrifié.

Il n'aurait servi à rien de revenir sur les erreurs qu'il avait commises, sur le mal qu'il avait fait, sur sa propre hypocrisie, comme ils s'y étaient déjà en vain tous essayés. L'heure n'était plus au débat ; ?a ne l'avait jamais été. Ni à Wellston, ni à New Bostin. C'était avant, qu'il fallait réagir. C'était avant… qu'il fallait le protéger. De cela, Arlo en était désormais certain ; le brun était en mesure de démolir quatre hauts niveaux avec un seul bras et pourtant… Il était vulnérable. C'était trop long à expliquer, ?a lui sciait le cr?ne rien que d'y penser, aussi le blond n'en avait-il parlé à personne. De plus, il avait toujours envie d'enfoncer son poing dans la gueule de ce tyran, de le mettre à genoux et de l'abandonner là. Seulement, depuis les profondeurs de son coma, John lui avait donné raison. Et on ne dirait pas du roi de Wellston qu'il n'était pas beau joueur.

[… … …]

-Oh non… Il recommence ce truc ! S'écria Isen avec une grimace, à mi-chemin entre la crainte et le dégo?t.

Il s'était arrangé un coin sur la table de chevet et peaufinait une rédaction lorsqu'il avait ressenti le besoin de s'étirer un bon coup, histoire de détendre un peu ses muscles endoloris. C'est là qu'il avait remarqué que les paupières du brun s'agitaient, allant parfois jusqu'à s'entrouvrir. Il était alors possible d'apercevoir un bref instant l'ambre de ses iris, rehaussé par l'éclat doré caractéristique de l'activation de sa capacité. Remi sortit la tête de son livre, fron?ant légèrement les sourcils tandis qu'elle constatait le phénomène. Ce n'était pas la première fois qu'ils assistaient à ces espèces de convulsions et, pour des raisons évidentes, ce n'était pas rassurant. Toutefois, ils avaient cessé de déranger le personnel pour ?a, qui se montrait formel en la matière ; c'était sans conséquence et il n'y avait rien à faire, sinon attendre que ?a passe.

La reine de Wellston referma brusquement l'ouvrage et se leva, l'air renfrognée. D'un pas coléreux, elle alla ouvrir plus largement la fenêtre et prit une grande inspiration. Le rouquin s'était raidi, mais cela avait au moins eu le bénéfice de détourner son attention du blessé.

-Je connais ce regard, Remi. On a déjà eu cette conversat-…

-Tout ?a n'a aucun sens ! L'interrompit la jeune fille. Quand le feu a commencé à se propager, tout le monde a pu fuir, sauf John. Il a clairement été visé et retenu. Pourquoi ? John ne doit pas manquer d'ennemis, mais de là à vouloir l'assassiner ? Et dans ce cas, pourquoi ne pas être venu terminer le travail ici ? Ce n'est pas la difficulté que ?a représente ! A moins que John ne se soit suffisamment bien défendu pour mettre son opposant hors d'état de nuire un moment. Mais pour combien de temps ? Et ces br?lures qui ne guérissent pas ! Dans un monde où on peut ressouder des os transpercés au laser ! Qu'est-ce que c'était que ces flammes, bon sang ?! On a tous vu les images à la télévision… Elles paraissaient douées d'une volonté propre !

Isen eut du mal à déglutir. C'était exact ; tous les témoins avaient eu cette impression, y compris les pompiers. L'un d'eux s'était même confié à la presse ; ? Je sentais une présence. Comme si quelqu'un me regardait depuis le brasier. On a vraiment cru ne pas réussir à contenir l'incendie, que tout le quartier allait partir en fumée. Rien n'indiquait qu'on allait l'emporter. Mais le feu a cessé sa progression à peine les premières habitations effleurées. A partir de là… Oui, à partir de là on peut dire qu'il s'est laissé éteindre. C'est vraiment dérangeant. ? Le rouquin fit nerveusement cliqueter son stylo.

-Remi, le seul qui puisse apporter un début de réponse, c'est John…, osa-t-il avancer. Et tu le sais. Alors arrête de te torturer avec ?a, aussi suspecte que soit toute cette affaire.

Du bouquet de fleurs déposé par William, un pétale s'échoua sur son devoir et Isen le balaya. Les paupières du blessé continuaient leurs soubresauts, et sa respiration soulevait son buste avec une irrégularité croissante. Le rouquin serra les poings, et son amie se mordit la lèvre inférieure, visiblement frustrée et peinée. Elle finit par l?cher ;

-J'aimerais tellement pouvoir le réveiller…

-Tu t'impliques trop ! S'énerva alors Isen. John t'a traitée comme de la merde ! Oublie pas qu'on est là avant tout pour Seraphina !

Ce reproche lui valut d'être foudroyé du regard.

-John est devenu ce que nous en avons fait ! Alors on n'a peut-être pas mérité que ?a nous explose aussi méchamment à la face, d'autant moins que d'autres nous ont joyeusement savonné la planche, mais on ne peut pas lui tourner le dos ! On vaut mieux que ?a ! On vaut mieux que ce que cette société pourrie essaye de faire de nous ! Que tu le veuilles ou non, je serai là pour tout le monde !

[… … …]

L'as tenait la main droite du brun entre les siennes. La jeune fille était toujours rudement éprouvée par la situation, mais elle n'avait plus l'air sur le point de s'effondrer. John était son ami, son meilleur ami, quand bien même ses mensonges et autres dissimulations lui restaient en travers de la gorge. Et c'était lui qui avait coupé court au dialogue, qui l'avait rejetée sans se mettre un instant à sa place, sans chercher à savoir ce qu'elle pouvait ressentir, ni pourquoi. Mais elle croyait en avoir saisi la raison, bien qu'elle ait, comme Arlo, gardé ses déductions pour elle. Elle n'avait aucune envie de se balader dans l'école en n'ayant que les forfaits du Joker en tête. John était davantage. Il fallait qu'elle le prouve. Pour lui. Pour elle. Pour sauver ce qui pouvait encore l'être. Si elle faisait fausse route, tant pis ; ce serait la dernière fois qu'il la décevrait. Mais elle voulait une réponse.

Réalisant qu'elle serrait peut-être un peu trop fort la main du blessé, elle la rel?cha doucement. Lentement, elle vint s'asseoir à la tête du lit, et posa son front sur celui du brun. Elle ferma les yeux, lui caressant les cheveux.

-Reviens, John. Est-ce qu'on avait seulement réglé cette histoire de g?teau au chocolat ?…

[… … …]

Elaine avait fait br?ler de l'encens. Elle n'était pas tout à fait certaine que ce soit autorisé, dans un h?pital, mais elle ne s'habituait pas à l'odeur. D'un autre c?té, elle était celle du groupe qui venait le moins souvent. Pour cela, elle pouvait remercier Arlo, qui prenait parfois son tour. Elle n'osait pas approcher du lit, demeurant assise près de la fenêtre. Elle consultait inlassablement l'heure à son téléphone, attendant impatiemment de pouvoir s'en aller. Cela ne faisait que trente minutes qu'elle était là… mais elle n'en pouvait déjà plus.

Elle se trouvait ridicule. On ne lui demandait rien, sinon d'apporter une présence à un camarade comateux. Qu'y avait-il d'insurmontable là-dedans ? Ce n'était pas la peur que John -que le Joker- lui inspirait, non. Enfin, pas uniquement. C'était aussi… sa honte. Lorsque le brun s'était prétendu impotent, elle l'avait aussit?t étiqueté comme n'étant pas fréquentable. Elle ne lui avait jamais donné sa chance et même ! S'était mêlée de sa relation avec Seraphina. De quel droit ? Celui que la hiérarchie lui conférait ? Elle s'était montrée odieuse. L'aurait-elle jamais réalisé si John ne s'était pas avéré être un haut niveau, s'il ne s'était pas révélé ?

Ce que le brun avait fait était détestable. Comme elle.

-Elaine ?

La guérisseuse se leva vivement et considéra le roi de Wellston, surprise.

-A-Arlo ! Qu'est-ce que t-tu fais ici ?! Bredouilla-t-elle en rougissant.

-Je viens prendre la relève, annon?a-t-il.

Elle frémit. Qui d'autre aurait pu afficher un tel sérieux, tout en affectant un ton si détaché ? Et ce timbre grave, cette stature… ?lève brillant, toujours tiré à quatre épingles. Réfléchi, raisonnable. Charismatique. L'incarnation de l'autorité.

Elle se tendit. L'incarnation de ce qui restait de leur précieuse hiérarchie. Il avait fait une erreur. Et ils en étaient là. Mais elle n'arrivait pas à lui en tenir rigueur. Le baril de poudre avait été éventré bien avant que le blond n'allume la mèche.

Elle sourit. Il demeurait admirable.

-Elaine ? La rappela-t-il à l'instant présent.

-Que ? Oui ! Non ! Je veux dire- ah ! Pourquoi ?! Tu dois être occupé !

-Tu n'aimes pas être ici, argua-t-il.

-Mais…

Ils se fixèrent longuement. Il n'avait jamais été très loquace mais, à ce moment précis, quelque chose clochait. Elaine s'enhardit à insister ;

-Tu aurais pu m'envoyer un message. Et puis, on pourrait d-…

-C'était une bonne idée, la coupa-t-il.

-Quoi donc ?

-L'encens.

Il éludait, et sans grande subtilité, avec ?a. La guérisseuse hésita, oubliant même de le remercier pour son compliment.

-Tu… Tu ne laisses jamais personne rester avec toi. Sauf si c'est Seraphina.

Mince ! C'était presque une accusation. Elle pensait avoir été trop loin, qu'Arlo allait commencer à s'agacer ; après tout, il se proposait de lui rendre service, et elle se montrait plut?t ingrate… Cependant, le blond daigna lui livrer une explication ;

-Je ne peux décemment pas congédier Seraphina. John est son ami. Mais je réfléchis mieux seul.

Elaine se frotta distraitement un bras, demandant d'une petite voix ;

-Il n'y a donc personne à qui tu voudrais parler ?…

Le roi de Wellston lui répondit par un silence et vint chercher la chaise, qu'il ramena de l'autre c?té du lit. Il s'y assit et croisa les bras, sans accorder davantage d'attention à la guérisseuse.

-J'ai dit que je prenais la relève.

[… … …]

Blyke eut un choc en entrant dans la chambre. S'il avait bien noté que, depuis quelque temps, certains bandages étaient changés moins souvent, ou se faisaient moins épais par endroits, arriver pour découvrir qu'ils étaient à présent en partie absents relevait d'un progrès auquel il ne songeait plus. Lorsqu'il approcha, s'attendant à tout et rien, il fut sidéré par les résultats des soins. De ce qu'il en savait, quand John avait été admis, le personnel avait douté de sa survie, puis avait longuement redouté de devoir amputer. Bien s?r, cette dernière inquiétude concernait surtout le bras gauche, au sujet duquel le médecin, qui rendait compte à William de l'évolution de l'état de son fils, émettait les plus grandes réserves.

Quoi qu'il en soit, si le bras droit du blessé était marbré de plaques rouges, ponctué de cloques blanches, avec une peau à l'aspect plastifié, il était néanmoins… Comment dire ? Il paraissait ? sain ?. Quant au visage du brun, il n'y demeurait qu'une large boursouflure qui courait de l'angle gauche de sa m?choire jusqu'à son nez. Elle était suffisamment importante pour demander encore un peu d'attention, pas assez cependant pour qu'on puisse considérer le jeune homme comme définitivement défiguré. Le valet espérait que le drap immaculé cachait des constats tout aussi encourageants. Enfin… Soupirant, il se dégagea un bout de la table de chevet et se pencha sur ses devoirs, quoique sans réelle motivation.

[… … …]

Arlo ne savait pas bien ce qui lui avait pris. D'accord, cette conversation avec sa tante l'avait plus ébranlé qu'il n'avait bien voulu l'admettre devant Remi. Il s'était senti contraint à planter la Safe House et cela l'aga?ait. Mais de là à se retrouver un mercredi après-midi sur le pas de la porte de John, ne se souvenant que William passait ses journées dans la chambre du blessé qu'une fois confronté à l'interrogation dans le regard de l'adulte… Quel embarras ! Les joues du blond rosirent et il demeura un moment pétrifié, ne sachant comment expliquer dignement sa présence. Parce qu'il n'avait rien à faire là.

-Je t'en prie, entre, lui sourit alors William.

Retrouvant le contr?le de son corps, le roi de Wellston s'exécuta et vint tendre une main polie à l'adulte.

-Excusez-moi. Si je dérange, je peux partir.

-Oh, non ! Tout va bien ! Assura l'adulte, avec un enthousiasme sincère bien que fatigué.

Après qu'ils se furent salués, Arlo s'adossa au mur et, comme de coutume, croisa les bras.

-Je peux aller demander une autre chaise, proposa William.

-Non, ne vous en faites pas pour moi. Je…

Quoi ? je ? ? Qu'avait-il prévu de dire ? Toutes les excuses qui lui venaient sonnaient plus faux les unes que les autres. Devant le sourcil arqué de l'adulte, il capitula. Les joues chauffant encore, il quitta la pièce pour revenir, quelques minutes plus tard, avec un tabouret qu'il prit soin d'installer dans un coin près de la fenêtre, donc loin de William. A peine s'était-il assis que, fermant son ordinateur portable et le déposant au pied du lit, l'adulte engagea la discussion ;

-Comment va Seraphina ?

-Mieux.

-Et toi ?

La réponse aurait été trop longue, alors il haussa les épaules, comme si ce qu'il aurait pu avoir à dire n'avait aucune importance.

-Et vous ? Esquiva-t-il plut?t.

William sourit tristement ; visiblement, lui aussi fuyait d'interminables confidences. Et la compassion avec laquelle l'adulte l'observait malgré tout mit rapidement le lycéen mal à l'aise. Puis, sans crier gare, William jeta la bombe.

-John et toi étiez proches ?

Le roi de Wellston dut passer par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, puisque l'adulte perdit un instant son sourire. Arlo réfléchit à toute vitesse, imaginant une foule de répliques plus ou moins franches, empilant les scénarios… Jusqu'à ce que, à bout de patience, il se résolve à l?cher sèchement la vérité, sans fard ;

-Non.

L'adulte haussa à nouveau le sourcil, retrouvant son sourire.

-Qu'est-ce que tu fais ici, alors ?

Touché. Le blond ne put masquer son irritation. Mais avant qu'il ait trouvé avec quoi défendre sa fierté, William brandit un paquet de cartes. Lorsque l'adulte eut gagné pour la cinquième fois consécutive, le roi de Wellston se l'avoua ; il était furieux et c'était devenu personnel.

Il avait complètement oublié sa tante.

Quand Blyke et Isen débarquèrent, William et Arlo étaient chacun d'un c?té du lit, l'adulte battant des cartes, l'air narquois. Le blond, ne laissant pas à ses deux amis abasourdis le temps de poser la moindre question ni même de se remettre de leurs émotions, leur ordonna d'aller chercher de quoi s'asseoir. Ils étaient ? royalement ? invités à se joindre à la partie.

Une heure plus tard, le roi et son valet étaient l'un comme l'autre persuadés que William devait forcément tricher. Le rouquin hésitait à appeler les filles au secours.

[… … …]

Arlo s'en était tiré auprès de ses amis en prétextant avoir perdu un manuel -lui qui ne perdait jamais rien-, et être passé à l'h?pital pour vérifier, en vain. L'adulte avait eu l'amabilité de ne pas commenter le mensonge éhonté mais son regard s'était fait plus appuyé. Le blond avait eu la très désagréable conviction que cela démangeait William de crever l'abcès qu'il avait repéré. Le roi de Wellston ne parvint cependant pas à ignorer les rugissements assourdissants de son orgueil bafoué lorsque Seraphina lui proposa de venir avec elle le mercredi suivant. Blyke lui ayant raconté leur mésaventure, la jeune fille avait décidé de remettre le couvert. Le valet en était déjà, scandant qu'il fallait se battre pour l'honneur de leur école, et Arlo ne se fit pas prier. Il ne perdrait pas systématiquement et contre le fils, et contre le père.

[… … …]

Il n'avait jamais prêté l'oreille aux rumeurs. Elles ne manquaient pourtant pas, et il en captait bien malgré lui une par-ci, l'autre par-là. Mais il les évacuait aussit?t. Il y avait déjà Isen pour s'occuper de cette t?che ingrate qu'était de se tenir au courant des différents ragots, et de faire le tri dedans. Bien s?r, la disparition du Joker avait fait jaser. Certains avaient tenté de faire un lien avec le fameux incendie, mais personne ne pouvait croire que John, s'il s'était vraiment trouvé sur les lieux, ait pu être blessé suffisamment gravement pour n'être toujours pas de retour en cours après deux semaines. Alors au bout de deux mois… L'immense majorité de Wellston se contentait d'apprécier un retour à la normale, avec leurs royaux ? d'avant le Joker ?, et les bénéfices de la Safe House en prime. Parfois, quelqu'un remettait le sujet sur le tapis, on théorisait le temps d'une pause, et c'était fini.

Comment les choses avaient-elles pu vriller à ce point ?

Arlo était assis sur son tabouret, près de la fenêtre. Vo?té, les coudes plantés dans les cuisses, il regardait ses mains trembler. Il n'avait pas pris le temps de se changer, séchant les cours pour se rendre directement à l'h?pital. Il avait éteint son portable, les appels de Remi comme les messages de Blyke le tétanisant. Bien s?r qu'ils voulaient savoir ce qui s'était passé, mais il se sentait trop nauséeux pour le leur expliquer. Quant à William, interdit, il avait à peine pu ouvrir la bouche que le blond l'envoyait valser ; ? Je n'ai pas envie d'en parler ! ? avait-il aboyé avant de se murer dans un silence buté. L'heure du déjeuner approchant, l'adulte s'était éclipsé afin d'aller chercher à manger. Le roi de Wellston n'était pas dupe ; William ne lui laissait un répit, l'occasion de retrouver ses esprits, que pour mieux l'interroger sur ses vêtements éclaboussés de sang.

En vérité, Arlo doutait de la sévérité des blessures de son adversaire. Le doc avait vu pire et le remettrait sur pied en un rien de temps. Ce qui l'horrifiait, c'était la furie qui l'avait pris. La faute à une phrase qui avait sonné un brin trop clairement parmi le brouhaha des élèves déambulant dans les couloirs, alors qu'il passait à proximité de deux petites frappes… Un murmure qui n'avait pas eu l'intelligence de se noyer dans la masse, et son poing s'était abattu sur le visage du coupable. Le type était une vipère à la Zeke ; crachant son venin devant plus faible, s'aplatissant devant plus fort. Il avait peut-être même servi le Joker, alors… ? … Ce bon Johnny aura trouvé son ma?tre. Avec un peu de chance, il s'est fait descendre ! ? Non, ce qui l'horrifiait vraiment, c'était ce regret qu'il avait éprouvé, sit?t sa domination assise sur son camarade gémissant, de n'avoir pas cogné plus longtemps.

Ce fils de pute méritait. Est-ce qu'il le méritait ? John avait fait bien pire. Mais le comportement de John s'expliquait. Peut-être que celui de ce connard aussi ? Le blond s'en foutait. Il se foutait de cet enculé. Il se souciait de John.

Merde.

Lorsque l'adulte fut de retour, le roi de Wellston ne put soutenir son regard à la fois grave et triste. Du bout des lèvres, il remercia William quand celui-ci lui tendit un sandwich, mais ne le déballa pas tout de suite.

-Je ne l'ai pas tant amoché que ?a, souffla-t-il.

-Tu m'as pourtant l'air bien retourné, contra l'adulte.

-Pour des raisons beaucoup plus personnelles, rétorqua Arlo en se redressant.

Il était parvenu à adopter un ton plus sec, juste de quoi marquer sa conviction sans en devenir agressif. Il se raidit quand William posa une main sur son épaule et la pressa doucement.

-Ce n'est pas bon de toujours tout garder pour soi.

Après quoi, il avait eu la prévenance de ne pas insister et le blond s'était forcé à avaler la moitié de son déjeuner. Puis, sentant le sommeil le gagner, le roi de Wellston était rentré chez lui.

[… … …]

Isen et Seraphina attendaient avec Remi dans la chambre de cette dernière. Blyke avait organisé cette réunion de crise pendant qu'Arlo et Elaine surveillaient la Safe House. Aussit?t qu'il eut rejoint ses trois complices, le valet déclara ;

-Les gars, Arlo a pété les plombs ; il faut faire quelque chose.

Ses camarades parurent dubitatifs.

-Ne me regardez pas comme ?a ! S'indigna-t-il. Il a commencé par rendre service à Elaine ; d'accord, c'était gentil et tout ce que vous voulez, mais il a fini par prendre systématiquement son tour de visite à l'h?pital. C'est à cause de lui qu'on a lancé les après-midi poker, qu'il n'a jamais manqués, d'ailleurs…

-Toi non plus, mec, fit valoir le rouquin.

-Et là, reprit Blyke en ignorant son ami, il commence à prendre nos tours aussi. C'est quoi, son excuse, pour vouloir se rendre à l'h?pital à notre place, hein ?

-Moi, il ne m'a jamais-…, tenta l'impotente.

-?'aurait été un comble qu'il cherche à t'exclure des visites, Seraphina !

-Calme-toi, intervint encore Isen. Il a peut-être juste craqué pour une infirmière…

Lourd silence dépité. Le rouquin se tassa et le valet asséna ;

-Entre-temps, qu'est-ce qui s'est passé, hm ? Il a planté la Safe House, y est revenu comme une fleur, a sauté à la gorge d'un mec random et nous vente à chaque fois qu'on essaye d'aborder le sujet… Alors, je veux bien qu'il ait toujours eu ses petits secrets et magouillé dans son coin mais, déjà, je pense qu'on mérite un peu plus de considération.

-Tu veux faire une pétition ? Proposa sournoisement l'as.

-Plut?t exiger un référendum, non ? Renchérit la reine.

-C'est ?a ! Foutez-vous de moi ! S'énerva Blyke. En attendant, vous n'avez pas entendu Arlo dire ce que je l'ai entendu dire, et croyez-moi que vous allez moins vous marrer quand je vous l'aurai répété !

-Eh bah, vas-y. Finissons-en…, soupira Isen tandis que les filles gloussaient.

-Alors voilà ; je ne sais pas à qui il parlait -en tout cas, ?a haussait le ton à l'autre bout du fil, parce que je suis s?r qu'en me rapprochant j'aurais pu saisir des mots- mais il lui a raccroché au nez juste après avoir crié ; …

[… … …]

-… J'emmerde la hiérarchie !

Arlo se trouvait sur le toit de Wellston ; il en avait pris la direction en voyant le nom de sa tante s'afficher sur l'écran de son portable, et avait bien fait de s'y isoler puisque la discussion s'était rapidement envenimée. Tout à sa colère, il n'avait pas remarqué l'arrivée de son valet, ni le repli stratégique de ce dernier, et encore moins que Blyke était resté jusqu'à conna?tre la conclusion de la dispute. Le blond éteignit son téléphone -s'il voyait réappara?tre le nom de sa tante, il pourrait lui prendre l'envie de jeter l'appareil contre un mur- et s'effor?a de recouvrer son calme. Au moins en apparence.

Il déjeuna avec Elaine à la Safe House, qu'ils surveillèrent l'heure suivante, puis retourna en cours. Il rongea ainsi son frein tout l'après-midi et, aussit?t que la dernière sonnerie eut retenti, s'élan?a sur le chemin de l'h?pital. Par chance, c'était vraiment à lui de s'y rendre, aussi n'eut-il pas à rallumer son portable pour déprogrammer l'un ou l'autre de ses amis. Une fois la porte de la chambre fermée derrière lui, il poussa un long soupir… D'exaspération ? De lassitude ? Et se laissa tomber sur la chaise. Ses yeux cherchèrent immédiatement le visage de John, la rage sourdant bient?t à nouveau en lui.

Il avait confiance en sa tante. Elle était un modèle. Alors, oui, il l'avait appelée lorsqu'il avait commencé à manquer de ressources. Il en était venu à faire le bilan de l'activité à Wellston. Qu'elle grince des dents en apprenant que son neveu avait été détr?né, c'était normal. Qu'elle balaye le principe de la Safe House n'avait rien de surprenant. Elle s'était aussi irritée qu'il ait retrouvé sa couronne ? par défaut ?, parce que son rival était absent. Arlo pouvait comprendre ?a, même s'il n'avait pas apprécié que sa tante l'accable à ce point et ne fasse même pas preuve d'un peu de compassion pour John.

En revanche, qu'elle ose téléphoner pour savoir si le brun était sorti de l'h?pital, et si son neveu se préparait correctement à l'affrontement, là… Il avait vu rouge. Comment pouvait-on faire preuve d'aussi peu d'humanité ? Et que croyait-elle ? Que John serait sur pied deux heures après son réveil ? Que sa capacité ferait subitement le poids contre celle du brun ? Un sarcasme lui avait échappé ; ? Ne t'inquiète pas, je presserai les infirmières pour qu'elles nous le réparent plus vite ! ? Sa tante était montée au créneau. Lui aussi. Non, il ne défierait pas John, ni à son réveil, ni après. Si, il était retourné à la Safe House. D'après sa tante, il trahissait la hiérarchie. C'était plus qu'il n'en pouvait supporter. ? J'emmerde la hiérarchie ! ? Il espérait qu'elle en suffoquait encore.

Il se leva et se pencha légèrement au-dessus du lit. Réalisant que sa main approchait de la cicatrice qui barrait la joue gauche du brun, il retint son geste et jeta un regard nerveux vers la porte. Personne n'était là à s'interroger sur ce qu'il faisait, bien s?r. Le clair de ses prunelles assombri par l'orage qui le secouait, le roi de Wellston -légitime, artificiel, qu'importait- effleura la blessure. Une sorte de choc électrique, s?rement purement psychologique, repoussa ses doigts et il posa finalement la main sur le torse de John. Au travers du drap fin, il sentait les pulsations du c?ur contre sa paume. Le blond était furieux. Contre sa tante et son système. Contre lui-même et tout Wellston. Contre le brun.

-Bon sang, John…, grogna-t-il. Tu ne peux pas juste dormir pendant que… pendant que… que… Raah !

Ses épaules s'affaissèrent, la tempête s'apaisa. Ses doigts se replièrent sur le drap.

-Je me suis déjà excusé pour ce que j'avais fait. En tant que roi, parce que tous les élèves faisaient les frais de mon obstination… Aujourd'hui, tu dois me croire… Je laisse la hiérarchie en dehors de ?a et je m'excuse auprès de toi, et de toi seulement…

Il s'écarta d'un pas, la gorge nouée. Il voulait prendre la main du brun, la serrer, glisser les doigts dans ses cheveux ; en somme, se permettre les attentions que Seraphina pouvait avoir. Il en voulait même davantage. Une caresse. Un… baiser. ?'aurait été si aisé à voler. Mais c'était impossible. John le ha?ssait. Il n'avait pas le droit de lui imposer ce à quoi ses interminables réflexions l'avaient mené.

Arlo avait entraper?u l'amitié, la confiance dont le brun était capable, tandis qu'il lui tendait le piège qui provoquerait leur confrontation. Il savait à c?té de quoi il était passé. La jalousie lui tordait les entrailles chaque fois qu'il songeait à la relation privilégiée que l'as avait entretenue avec le blessé. Ces deux-là retrouveraient-ils leur complicité d'alors, quand John se réveillerait enfin ?

C'était la meilleure chose qui pourrait leur arriver. Mais, à lui, au roi détr?né, au tra?tre couronné, que resterait-il ? Que pourrait-il faire pour grappiller des miettes de cette affection ? Quels arguments avait-il ? Il était pathétique. Il se lamentait sur la perte d'un don qu'on lui avait fait, et qu'il avait tout bonnement négligé, bafoué. Il bl?mait tout ce qui le constituait ; son éducation, sa puissance, son orgueil.

Son miroir se moquait, l'insultait. Lorsqu'il ouvrirait les yeux, le brun ne l'autoriserait en toute logique même plus à venir lui rendre visite. Tout ce que le blond pouvait faire, c'était attendre d'être chassé. Il en était malade de frustration. Il aurait voulu pouvoir tout effacer, ou hurler, que quelqu'un comprenne, le soutienne. Mais ce tumulte était trop intime pour qu'il se résolve à le partager.

Il subissait ses sentiments, les cachant, s'évertuant vainement à les enfouir. Il saturait, dissimulant les fissures derrière un mélange mécanique d'assurance et d'autorité.

Un éclat d'or trancha net le fil de ses pensées. John avait activé sa capacité, ses paupières ayant repris leurs convulsions. Arlo tendit aussit?t l'oreille, vérifiant que personne ne venait. Il avait gardé secrète cette initiative qu'il avait prise, après avoir assisté à cette scène trois ou quatre fois. L'azur de son regard étincela et il posa une barrière au-dessus du lit. Quelques secondes plus tard, le brun retournait à son coma, à ses cauchemars ou ses souvenirs, et le blond désactivait sa capacité. Calmement, comme William l'avait fait avec lui, le roi de Wellston vint lui presser l'épaule.

-Je suis là.