Cet OS a été écrit pour la 138e Nuit du FoF autour des thèmes "frangin" et ? grenat ?. Le FoF est un forum ouvert à tous les francophones de ffnet où l'on peut discuter, demander de l'aide ou participer à des jeux. Le lien est dans mes favoris !

Monte-en-l'air

Ce n'était pas dr?le d'être le frère du roi, Nizam en savait quelque chose. Les gens pensaient qu'on était l'éternel second, mais non : on l'était tant que le roi n'avait pas d'enfant. Ensuite, on devenait troisième, puis quatrième dans l'ordre de succession, et ainsi de suite au fil des naissances, jusqu'à ce que ces enfants commencent eux-mêmes à avoir des enfants et mettent ainsi fin à tous vos espoirs… Mais on n'en était pas encore là. Et comme la reine était morte et que Sharaman semblait décidé à porter un deuil éternel, la liste des prétendants au tr?ne resterait limitée pour quelques années encore.

Non que Nizam souhait?t le moindre mal à ses neveux. Homme de confiance et bras droit du roi, c'est lui qui supervisait leur éducation, et il n'était pas mécontent du résultat. Tus, l'héritier présomptif, s'adonnait à l'étude avec une application qui compensait quelque peu son intelligence limitée – mais Sharaman lui-même était bien moins intelligent que son frère, ce qui ne l'empêchait pas d'être un grand roi, surtout parce qu'il avait la sagesse de s'appuyer sur lui. Garsiv, le cadet, qui conna?trait un jour ce que le destin de second pouvait avoir d'amer, s'intéressait davantage à la chose militaire, pour laquelle il présentait de réelles qualités ; à quatorze ans, il s'entra?nait plusieurs heures par jour afin de devenir un combattant émérite. Pour Dastan, c'était plus compliqué, mais il faut dire qu'on partait de loin…

Pour l'heure, les trois princes – ou deux princes et demi car, du point de vue de Nizam, Dastan ne serait jamais un prince à part entière – se tenaient avec leur oncle sur l'une des terrasses du palais royal, d'où l'on avait une vue magnifique sur la capitale et, au-delà du rempart, le fleuve qui traversait une campagne semi-désertique jusqu'à l'horizon montagneux.

? Regardez, disait Nizam d'un ton professoral. Le fleuve s'écoule depuis les hauts plateaux jusqu'à la mer. Au printemps, à la fonte des neiges, ses eaux gonflent jusqu'à recouvrir la plaine, raison pour laquelle les villages sont construits sur pilotis…

– On la conna?t par c?ur, ton histoire, l'interrompit Garsiv d'un ton las. Quand le fleuve se retire, il laisse derrière lui un limon qui fertilise la terre à la grande joie des paysans. On est contents de le savoir, mais on n'est pas des paysans.

– Dastan, lui, ne le sait pas encore, répliqua Nazim avec sévérité. Du reste, il est important que les futurs dirigeants du pays comprennent d'où proviennent les ressources qui les font vivre, eux et leur peuple.

– Très juste, observa Tus. Mais Garsiv a raison sur un point : lui et moi, on conna?t déjà tout ?a. ?

Moins impatient que son cadet, l'héritier du tr?ne observait nonchalamment les toits de la ville en caressant les plumes du perroquet perché sur son avant-bras, un cadeau de son père dont il ne se séparait plus. Garsiv, incapable de tenir en place plus de deux minutes, retira les bagues précieuses qui ornaient ses doigts soignés de jeune prince et se mit à jongler avec. Dastan se tenait un peu à l'écart, assis sur la balustrade de la terrasse.

Des trois, il était le plus attentif aux le?ons de Nizam, et le moins enclin à poser des questions. Sa position, à lui non plus, n'était pas facile : gamin des rues adopté sur un coup de tête, il n'avait aucune légitimité, aucun appui autre que celui du roi, et aucune des qualités attendues d'un prince de Perse. Il était trop jeune pour cela et pas encore assez instruit, pensait Nizam, naturellement enclin à l'indulgence envers le petit dernier de la fratrie. Son existence à la cour était compliquée par le fait que les princes – les vrais princes – eux-mêmes ne le considéraient pas comme leur frère. Tus, presque adulte, le traitait avec un désintérêt vaguement bienveillant, mais Garsiv, lui, ne manquait aucune occasion de souligner l'inadaptation du gar?on à la vie aristocratique. Il ne comprenait pas pourquoi Sharaman le jugeait digne d'être appelé son fils : Dastan n'était ni supérieurement fort, ni supérieurement intelligent. Une fois dans sa vie, il avait fait preuve d'un certain courage, juste au moment où le roi passait par là, et cela lui avait valu une promotion sociale aussi spectaculaire qu'imméritée. Nizam espérait qu'en grandissant, Dastan manifesterait quelques-unes des vertus propres à la noblesse, sinon même Sharaman finirait par se lasser de lui.

? Bien, fit-il en chassant ses pensées pour revenir à l'instant présent. De quoi souhaitez-vous que nous parlions, si les questions agricoles vous fatiguent, mes chers neveux ? ?

Trop occupé à jongler avec ses bagues, Garsiv ne sembla pas avoir entendu la question ; Dastan parut hésiter, craignant peut-être que l'expression ? mes chers neveux ? ne s'adresse pas à lui, et Tus se contenta de hausser les épaules en caressant son perroquet.

Tout à coup, l'oiseau s'envola de son bras et fondit sur Garsiv. Celui-ci couina de surprise et leva aussit?t les mains pour se protéger le visage, mais le perroquet se contenta de le fr?ler avant de s'enfuir à tire-d'aile jusqu'au clocheton de la tour nord, loin au-dessus de leur tête. Garsiv poussa un juron sonore.

? Ubisoft* ! cria Tus, mais, si le perroquet l'entendit – ce qui n'était pas certain – il l'ignora superbement.

– Fais-le descendre ! enjoignit Garsiv avec colère. Il a pris ma bague.

– Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ? répliqua Tus, indifférent. Tu t'en rachèteras une autre.

– C'est la bague de Mère, celle que Père m'a donnée en souvenir d'elle ! s'emporta Garsiv. Le grenat gravé à son nom ! ?

? ces mots, Tus p?lit.

? Tu jonglais avec la bague de Mère ? souffla-t-il d'une voix blanche. Tu es complètement idiot !

– Il faut qu'on la récupère ! s'entêta Garsiv en ignorant l'insulte, preuve qu'il était vraiment paniqué. C'est l'un des joyaux les plus précieux du royaume !

– Père va nous tuer ! s'affola Tus.

– Allons, les gar?ons, intervint Nizam, calmons-nous et réfléchissons. Le perroquet va peut-être redescendre avec la bague. Dans le cas contraire, à cette hauteur… ?

Il s'interrompit en percevant un mouvement à la lisière de son champ de vision. Dastan s'était levé, une expression résolue sur le visage. Sans un mot, il s'élan?a en courant vers l'endroit où la balustrade rejoignait le mur, prit appui d'un pied sur le garde-fou et se propulsa en l'air.

? Dastan ! ? s'écria Nizam.

Trop stupéfait pour être vraiment effrayé, il vit le gar?on s'accrocher au rebord d'une fenêtre, se hisser en souplesse puis bondir jusqu'à un balcon proche. La frayeur prit le pas sur la stupéfaction quand Nizam comprit que Dastan avait bien l'intention de grimper ainsi, de saillie en saillie, jusqu'au clocheton où était perché le perroquet.

? Il est complètement fou ! s'écria Tus.

– Père va le tuer ?, déclara Garsiv.

Appuis de fenêtres, balcons, gargouilles, corbeaux, crochets ou simples bandeaux, tout semblait convenir à Dastan : celui-ci escaladait la fa?ade tel un lézard qui aurait appris l'acrobatie. Le perroquet s'envola bien avant qu'il atteigne le sommet du clocheton mais le gar?on continua de grimper. Une fois tout en haut, il fit une pause pour regarder les deux princes et leur oncle, loin en-dessous de lui sur la grande terrasse, qui se dévissaient le cou pour ne pas le perdre de vue. Puis il amor?a la descente.

? Attention ! ? lui cria Nizam en le voyant sauter d'appui en appui, voltigeant comme s'il avait des ailes dans le dos et n'avait pas à craindre une chute mortelle.

Quand il toucha enfin le sol de la terrasse, Dastan tenait dans sa main une bague ornée d'une pierre rouge sombre chatoyante. Nizam, Tus et Garsiv affichaient tous les trois le même air estomaqué, mais le gar?on n'en con?ut nul orgueil car le roi Sharaman était là, lui aussi, et qu'il n'avait pas l'air content du tout. Quelques explications plus tard, le froncement de sourcils royal fit place à un sourire empreint de fierté.

? La bague de la reine est un bijou précieux, expliqua-t-il. Pas en raison du métal et de la pierre qui le composent, mais parce que la reine m'était précieuse. Je crois, Garsiv, que c'est à ton frère qu'elle revient, désormais. ?

Nizam haussa un sourcil et Dastan serra les dents : ils attendaient tous deux l'explosion de colère du fils cadet du roi. Mais il n'y eut pas d'explosion. ? la place, Garsiv tapota l'épaule de Dastan puis lui donna une accolade bien trop virile pour ses quatorze ans.

? Bien joué, frangin ?, dit-il en lui ébouriffant les cheveux pendant que, derrière lui, Tus opinait de la tête avec sur le visage la même expression d'admiration.

Nizam caressa sa barbe en observant les trois jeunes gens dont les liens s'étaient si subitement resserrés. Dastan avait gagné le respect de ses frères adoptifs, aujourd'hui, et fait la fierté de son roi. L'agilité n'était certes pas l'une des qualités essentielles d'un prince de Perse, mais c'était un début, se dit-il, c'était un début.


*En référence au jeu, bien s?r. N'empêche que je trouve que ?a sonne bien, le perroquet Ubisoft :)