Plus méfiante que jamais, la Morteflamme osa jeter un ?il au bas des marches. Personne. De là, elle ne voyait que d'énormes pavés que l'éclairage souterrain rendaient ocre. Seul un puissant courant d'air, qui laissait à penser que le sous-sol était vaste, se faisait entendre. Circonspect, Hélios préféra ne pas s'aventurer plus loin. Il fallait qu'il trouve les cendres des Veilleurs d'abord. En se retournant, il eut la confirmation qu'il n'y avait pas – au moins dans l'immédiat – de menace à proximité : les flammes qui léchaient l'épée sombre étaient toujours hautes et vives.
En revanche, l'épéiste haussa un sourcil en constatant que les vibrations, engendrées par l'ouverture du passage secret, avaient étalé le haut tas de cendres blanches. ?mergeant de la poudre ivoirine, trois cr?nes coiffés d'un chapeau de fer – desquels émanaient l'essence des Seigneurs – luisaient doucement, rougeoyants comme les braises qui les entouraient. Avec un respect considérablement émoussé par ses multiples morts, le chevalier se saisit du trio de têtes squelettiques. Il allait enfin pouvoir combler un des tr?nes vacants.

Le porte-braise débordait de fierté. Une fierté qu'il s'effor?ait de ne pas afficher ostensiblement car son honneur de chevalier lui imposait de rester humble. Mais elle éclairait néanmoins son visage d'un large sourire – qu'il ne s'autorisait que parce que son casque le dissimulait. Lui, une simple Morteflamme comme il y en avait eu tant d'autres avant lui, était parvenu à vaincre un Seigneur des Cendres.
Il portait solennellement les trois cr?nes, selon les ordres de la Gardienne du Feu – qui n'avait pas manqué de le féliciter – vers le tr?ne de pierre. Il les posa et contempla un instant son ?uvre, puis pivota vers les sièges vides. Pour la première fois depuis qu'il avait quitté son cercueil, sa mission lui semblait soudain possible. Longue, fastidieuse, moralement éprouvante, physiquement harassante, mais possible.
La voix monocorde de Du-Breuil le tira de sa rêverie.

- Vous avez tué les Seigneurs des Cendres, la Légion des Morts-vivants…

Il y avait autant d'admiration que de lassitude dans ses mots. Il poursuivit son monologue, laissant son regard morne revenir vers le sol poussiéreux.

- C'est donc ainsi que chacun d'eux regagne son tr?ne… J'ai pitié de ces ?mes en peine, soupira-t-il. Cette fin est-elle donc la seule récompense qu'un Seigneur soit en droit d'attendre ?

Hélios posa sur le déserteur de la Légion un regard consterné. Cet homme avait le don de faire retomber son enthousiasme. Il était indéniable que la destinée des Seigneurs des Cendres était bien triste : après s'être sacrifiés une première fois au Feu, ils avaient été ressuscités dans le seul et unique but d'être sacrifiés à nouveau. Et s'ils refusaient, des Morteflammes les traquaient jusqu'à ce qu'ils regagnent leurs tr?nes – vivants ou non.
Le chevalier ne parvenait cependant pas à être réellement compatissant ; le sort des Morteflammes n'était pas très enviable non plus. Combien d'entre elles, comme Faucon, avaient abandonné et continueraient d'errer pour l'éternité ? Combien avaient perdu la raison à cause de leurs morts répétées ? Combien s'étaient égarées aux confins des royaumes, traquant des Seigneurs qu'elles ne pourraient vaincre ?
Le Chercheur de Flamme eut une pensée pour ses camarades rencontrés en chemin. Il aurait tant aimé pouvoir leur annoncer qu'ils n'avaient plus besoin de chercher un des Seigneurs. Il ne pouvait savoir que ses comparses l'avaient ressenti à l'instant même où il avait posé les cendres des Veilleurs sur leur tr?ne.

- Ah, j'allais presque oublier de vous remercier…

Le timbre lugubre de l'homme à l'espadon sortit une nouvelle fois le guerrier incandescent de son introspection.

- Me remercier ?

- … de les avoir aidés à trouver le repos éternel…

Une autre voix grave, émergeant de l'ombre des tr?nes, fit brusquement se retourner le porte-braise qui revenait vers la Gardienne.

- Ah, mais je vous reconnais.

Hélios n'eut aucunement besoin d'identifier le casque en forme de tête de dragon ni l'imposant marteau de guerre qui reposait au sol pour reconna?tre le chevalier Eygon.

- ?a fait un moment… fit sobrement remarquer ce dernier.

- Qu'est-ce que vous faites ici ?

Ignorant le ton presque indigné de son interlocuteur, l'homme à la voix rauque répondit avec son naturel dédain.

- Je suis passé voir comment elle s'en sortait.

Le Traque-Seigneurs avait presque oublié que le chevalier pédant qui lui faisait face avait pour mission de veiller sur la douce Irina – presque ; il aurait aimé oublier complètement cet arrogant personnage. Eygon poursuivit, jetant un bref regard sur le Sanctuaire, s'attardant à peine sur les occupants qui se trouvaient dans son champ de vision.

- Et vous, que faites-vous au beau milieu de tout ce cirque ?

- Pardon ?

- Ce cloaque n'est peuplé que de vieillards séniles et autres phénomènes de foire.

Le porte-braise plissa les yeux malgré lui alors que son poing se serrait sur la garde de son épée de givre.

- Cela dit… reprit l'autre d'un ton moqueur, elle doit se sentir parfaitement dans son élément, ici.

Il ponctua sa remarque d'un rire sardonique. La seule et unique raison pour laquelle Hélios ne tira pas sa lame de son fourreau était parce qu'il ne voulait pas déclencher un combat dans le seul endroit qu'il considérait comme s?r. En insultant ainsi les lieux et leurs occupants, Eygon ne faisait que donner à son interlocuteur une nouvelle raison de désirer un duel. La Morteflamme gardait cependant à l'esprit qu'elle ne faisait peut-être toujours pas le poids contre le chevalier de Carim – malgré sa victoire sur un Seigneur de Cendres – et préféra répondre par un trait d'esprit.

- Des vieillards séniles et des phénomènes de foire ? … Alors vous vous fondrez aisément dans le décor, Sire Eygon.

L'invective à peine voilée ne fit pas plus réagir le chevalier prétentieux que les fois précédentes. Il se contenta d'un petit rire moqueur, comme si, au contraire, cela l'amusait de faire sortir la Morteflamme de ses gonds et de l'écouter répliquer.

Hélios s'étonnait encore de sa puissance nouvelle quand il revint au Bastion de Farron. Il était allé voir la Gardienne du Feu et celle-ci lui avait permis d'absorber les ?mes des Veilleurs des Abysses et celles que ces derniers avaient amassées. Il avait ainsi obtenu une telle force que son épée lui paraissait aussi aisée à manier qu'un simple b?ton.
C'est pourquoi, quand il descendit les marches qui s'enfon?aient sous le Bastion, il était presque confiant. Presque. Il n'oubliait pas qu'il ne pouvait jamais se reposer sur ses acquis. Il y avait toujours quelque piège, quelque ennemi sournois pour le prendre au dépourvu.

Le Chercheur de Flamme arriva prudemment au bas des marches et observa le décor avec attention. Il était arrivé dans une vaste pièce rectangulaire, au plafond relativement bas comparé aux autres édifices traversés. Un plafond sombre, lourd, presque oppressant, qui ne semblait plus tenir que par miracle, les piliers soutenant les croisées d'ogives ayant été abattus. L'endroit, bien que mieux éclairé que l'église de la Grande Prêtresse, était lugubre : les murs ornés de sinistres bas-reliefs – quand un squelette étrangement bien conservé ne semblait émerger directement de la pierre taillée – étaient interrompus, à intervalles réguliers, par de larges piliers incrustés chacun cerclé à son pied par nombre de cr?nes et de pierres tombales. La lumière des torches, bien que vive et chaude, projetait des ombres mouvantes qui donnaient vie aux ossements inquiétants. Le vent, qui soufflait depuis l'entrée du Bastion et passait en hurlant dans les escaliers, ne faisait que renforcer l'atmosphère pesante des lieux. Si le Bastion de Farron lui avait évoqué un vaste caveau, Hélios n'avait guère besoin d'en voir plus pour deviner que son souterrain était dorénavant une nécropole.
Réprimant un frisson d'effroi, le chevalier avisa l'autre c?té de la pièce qui paraissait s'ouvrir sur une zone plus vaste et éclairée par la lumière du jour. Après s'être assuré que rien ni personne ne pouvait le prendre pour cible, il s'approcha de ce qu'il pensait être une nouvelle série de marches descendantes. Il n'y avait pas d'escaliers. Il ne trouva qu'un espace vide, monumental, insoup?onnable depuis la surface ; un à-pic vertigineux qui descendait vers des étages inférieurs – eux aussi ouverts sur le néant – et, plus bas encore, des ab?mes ténébreuses et insondables. Au-dessus de lui, un haut plafond de rochers grossiers était percé d'un large trou, créant un puits de lumière. Une clarté naturelle qui venait mettre en valeur le seul pont qui quittait la grande salle et où patrouillait un squelette en armure.

L'épéiste s'arrêta juste avant de passer l'arche qui marquait l'entrée des catacombes, soudain hésitant. Le "gardien" du pont s'était montré bien plus redoutable que prévu. En plus d'être anormalement grand, le squelette avait fait montre d'intelligence, de prudence et de stratégie. Sa force nouvelle lui avait permit de vaincre sans grande difficulté, mais si les revenants squelettiques qui l'attendaient plus loin – car, il n'en doutait pas, il y en aurait d'autres ; beaucoup d'autres – se révélaient être aussi dangereux, la précaution dont le Chercheur de Flamme avait fait preuve jusque-là risquait de ne pas suffire.

Les longs couloirs – tous semblables les uns aux autres –, les escaliers, les échelles, les passages secrets, les ponts et les tunnels se croisaient, se coupaient, s'enchevêtraient en d'innombrables intersections, carrefours et embranchements, faisant de la crypte un véritable dédale. Le chevalier tira un nouveau prisme de sa sacoche et le laissa, bien en évidence, au milieu du passage. Les petites pierres luminescentes n'avaient pas été d'une grande aide dans le marais, mais l'étaient bien davantage dans ces couloirs tortueux où elles se détachaient ostensiblement de la pierre sombre.
S'il n'avait tant besoin de son bouclier, le porte-braise l'aurait très probablement troqué pour une torche. Les entrailles labyrinthiques de la nécropole étaient bien plus obscures que l'entrée. Les murs, percés à même la roche de caveaux laissés à l'air libre, semblaient boire la lumière des flambeaux épars. L'endroit devait servir depuis des siècles et siècles tant il y avait d'ossements, d'urnes funéraires et de restes humains en tout genre. Et parfois, les restes en question s'animaient pour prendre les armes.
La première fois qu'il avait vu un tas d'ossements dans le chemin, Hélios avait presque ri de la grossièreté de l'embuscade et ne s'était pas étonné de le voir prendre vie. Il avait été bien plus surpris de voir le squelette se relever après avoir été mis en pièces. Il avait fallu que le guerrier broie le cr?ne du mort sous sa botte pour en être débarrassé définitivement. Mais les squelettes isolés étaient rares et les "gardiens" – comme celui du pont – plus nombreux que le revenant embrasé ne l'aurait voulu.
Le Traque-Seigneurs avait été également déconcerté quand une dalle s'était enfoncée sous son poids avec un "clic" discret. Une volée de flèches en flammes avait alors surgit du bout du couloir. Fort heureusement, le porte-braise gardait presque toujours son bouclier levé et avait paré sans difficulté. Mais là encore, la répétition de ces mauvaises surprises rendait Hélios plus nerveux que prudent. Il n'avan?ait plus que lentement, vérifiant presque chacun de ses pas.


Bravo, et merci, à ceux qui continuent de me lire (s'il y en a).