Disclaimer: nombre de personnages et l'univers appartiennent à Rick Riordan

Warning !

On pourra trouver dans cette fic, des thèmes tels que les relations toxiques, le viol, l'alcoolisme, l'homophobie, l'abus parental, le suicide, le racisme, la guerre et les traumatismes des vétérans, et autres... Bien s?r je ne cautionne aucune des relations toxiques que je peux mettre en scène dans cette histoire. Il s'agit d'une fanfiction, dont le propos est plus violent que le livre pour enfants dont elle est tirée. On parle de personnages adultes menant des vies dangereuses à des époques où nombre de ces conduites n'étaient pas sanctionnées par la morale.


I. Cette br?lure…


Au 11 novembre 1918, Michel comprit qu'il était mort avec cette guerre. Tout le reste n'était qu'extra, comme ce morceau de religion qu'on absorbe pour vivre plus, comme les fleurs qu'on offre aux pauvres avec les mies de pain. Il fallait remonter maintenant, remonter les marches jusqu'au sommet de la butte Montmartre, y enterrer sa mère. Pendant ce temps, la grippe espagnole voyageait vite. Comment a-t-elle vécu ces derniers mois ? Comment l'a-t-elle supporté quand elle a su ? Il avait vingt-quatre ans, l'horloge ne tournait déjà plus.

? Je veux la recette de ton antiride, en rirait Alice dans trente ans. Meilleure chirurgie du monde.

- Tu n'en n'a pas besoin, tu es toujours aussi belle.

– Pourquoi se mentir Michel, nous sommes de très vieux amis pourtant ?. Quand nous avions dix ans, nous étions ces sales gosses qui chouravent dans les rues. Nous portions les bonnets d'?nes, et l'instituteur disait qu'on finirait dans l'égout. Nous buvions les fonds de verre, dansions au cabaret de l'ange perdu au son des fanfares. Longue et vieille vie.

? Michel, dis-moi, comment elle l'a su ? Comment elle a pu supporter de savoir ? ?

Alice était en tournée quand elle l'avait appris. Elle était rentrée de Rome au plus vite. La guerre touchait à sa fin entre-temps, on était un mois avant l'armistice. Il n'avait pas dix-huit ans. Il avait menti sur son ?ge. Alice se souvenait encore de lui avec ses boucles et ses joues d'enfant. Il lui avait fait promettre d'attendre ses dix-huit ans. ? Quand j'aurais dix-huit ans je t'épouserai, comme ?a tu seras complètement la famille. ? Elle avait ri : ? Et tu penses que tu auras encore envie de m'épouser minus ? Le temps que tu grandisses et je serai vieille et toute ridée.

– Epouse mon frère alors.

– Aha, ?a ne le tente pas trop je crois.

– Michel est bizarre, mais moi je t'épouserai. ?

? C'était un gamin. Juste un gamin, lui avait dit Michel. J'ai essayé de lui dire, je ne me suis pas assez méfié…

– On ne pouvait pas savoir. On doit être une famille l'un pour l'autre, c'est tout ce qui nous reste. ?

Mais sa s?ur et son frère sont morts il y tant d'années déjà, et ces bribes de paroles ont un air d'ironie tragique, comme si quelqu'un avait maintenant allumé une lampe éclairant soudain le factice du décor de thé?tre.

Maintenant… maintenant c'est dr?le de mourir comme ?a, consumé par un sort. Quand il avait dix ans, sa mère lui avait maintenu la main dans le feu, jusqu'à ce qu'il hurle. A c?té dans la salle, les serveurs ramassaient les millions d'éclats de verre des bouteilles explosées au comptoir, sur les tables, partout. ? Pas de ?a, promet moi que tu ne feras plus jamais ?a. Sinon ils te bruleront ! ? C'est atroce les mains brulées, mais il existe des choses pires : le bruit des bombes de gaz moutarde, la purulence interne des organes, ou encore le léger son d'un robinet tourné et le Zyklon B épandu dans le silence. Le plus sale, c'est de cramer de l'intérieur. Et il voudrait que ?a finisse au plus vite. J'étais déjà mort ; c'est un mensonge mais il est doué à présent, pour se persuader que ce ne sont pas ses poumons qui sont en feu, que la br?lure ne règne pas dans toutes ses molécules.

Les deux enfants s'accroupissent à son chevet, alors que voltigent tout autour les milliards d'hiéroglyphes, les fragments qui ne seront jamais lu, trop nombreux, trop épars, qu'il ne saurait déchiffrer maintenant.

Il a perdu sa langue un jour. Il ne s'explique pas, ne se justifie pas, ne raconte pas. Par où commencer d'abord ? Au hiéroglyphe le plus proche, le souvenir le plus rouge... Avril 1989. Il est assis dans la grotte, à c?té de Bérénice et il rêve. Il embrasse doucement Jeanne et Louis sur le front, et ils rejoignent Alice dans le monde des morts. Son frère court vers lui, et ils remontent ensemble le chemin qui va à Figeac. Le gar?on fragile dans ses bras, ses cheveux fins et bouclés lui chatouillent la joue. En haut des oies s'envolent par-delà les collines, et le grand chêne bruisse. ? C'est un très beau mensonge, Set ?. Il y a dans sa voix cet infini regret, et Bérénice sourit, et ses yeux sont rouges, rouges, et encore rouges comme ils remontent la grande aile du British museum, et rouge ses poignets et son cou quand elle ouvre ses veines avec un éclat de verre, et rouges ses propres mains alors qu'il essaye d'arrêter le sang, que la pierre de rosette brille au loin d'une lueur démente. Ses vêtements sont rouges encore quand il étend son corps brisé dans le Hall des ?ges.

Il la veille en silence, jusqu'à ce que vienne Julius Kane. ? Je suis désolé. Je sais que tu l'as aimée. ? Il ne dira rien. Voudrait répondre à la peine, à l'angoisse de l'autre tendu vers lui, mais Iskandar lui a interdit de révéler la capture de Set dans la pierre de Rosette. De toute fa?on par où commencer ? Il s'en va. Il s'en voudra toujours.

Mais voilà que le souvenir de Bérénice s'efface doucement. Bérénice, Arsène, les disputes, les heures de missions. Encore une vie massacrée par la volonté inflexible d'Iskandar. Un sacrifice sur l'autel de Ma'at, l'autel du service éternel. Les souvenirs flottent de toutes parts, mais déjà de son vivant, le temps s'était comme tassés, fondus dans un grand vague, un pèle mêle d'époques. Il s'était résigné.

? Moi je veux bien que le temps passe, que les saisons usent insensiblement ma mémoire. Mon enfance déjà n'est plus qu'un ramassis de clichés : une enfance bohème, perchée sur Montmartre, semée entre les cabarets, les réunions de comités, les travestis, les artistes, les ivrognes, les putes. Moi-même en y regardant, je ne discerne plus bien ce qui est du vrai, la misère, et ce qui est de la carte postale pour touristes. On dirait un mauvais film oscarisé, un de ceux aux filtres pastel et aux vieilles chansons à l'accordéon. Mais je veux bien que ma mémoire s'use, qu'elle emporte même la terreur de la tranchée et des sifflets, les fusillés du 18 ao?t 1944, les porteurs de valises et autres machines infernales. Avec le temps, je ne me fierai plus à ma mémoire et peut-être j'accepterai tous les mensonges d'histoires, j'accepterai de me voir courir en pantalon garance sur les manuels scolaires. Avec le temps les blancs s'étendent et je me vois délirer toujours plus entre les années, et lesquelles sont quoi, et je me demande comment ?a sera, quand je serai vraiment vieux, quand ma vie se contera en siècles, millénaires, et comment ils s'en sortent tous ceux-là qui promènent des dieux sous leur cr?ne.

J'aimerai comprendre pourquoi ces souvenirs précisément viennent se juxtaposer : mon père d'abord, la dernière fois que je le vois, vo?té et chagrin, tendant désespérément ses longues mains décharnées, Giacomo qui m'embrasse encore devant le quai, devant les gens, sous le soleil, et tous mes raisonnables qui fondent dans la lumière. L'ombre filante du train, les bleuets sur les pentes de Verdun, et le chêne traversant vers le jour la maison de Zora?de. Je voudrai savoir ce qu'il y a de commun entre Hannibal couché sur la Concorde et son ? enterre-moi loin de la boue ? alors que le dieu hurle piégé dans l'obélisque, et cette chaude nuit du 25 mai 1958 avec Alice, quand ivres de vin du maquis nous regardions les parachutistes tomber comme des globes de feu sur Bastia… Il y a ces moments merveilleux aussi, ces trop courtes nuits passées aux c?tés d'Amos, deux corps enlacés : ? Est-ce que je peux rester un peu plus longtemps ? – Peux-tu ne jamais partir ? ?

On l'avait prévenu. Quand ils passent la barre des cents ans, les magiciens commencent à porter des robes et des tuniques antiques, abandonnent le gout nouveauté et l'envie du meilleur. En réalité, c'est Sarajevo qui a tout achevé. Le deuxième Sarajevo. La ville de son début et la ville de sa fin. Il faudra vous parler un peu de ses années de services dans les Balkans, de la maison cachée en Dalmatie où Giacomo apprenait l'escrime aux enfants d'Alice. Du fascisme surtout, de ce que ?a fait aux gens.

Alors pour essayer de remettre un peu d'ordre dans ce tas d'hiéroglyphes, revenons à la Belle époque. C'était le temps où Michel découvrait, que s'il n'était pas forcé de faire de la magie, et bien s?r en renon?ant à sa carrière de professeur de littérature, et en écartant l'envie fugace d'ouvrir un bar ou de faire du music-hall, il aurait été un fantastique horticulteur.

Les chefs du Quatorzième, après avoir mis la main sur lui, l'auraient bien exécuté sur le champ, avant de relancer au sein du Nome le débat polémique sur les Champollion, mais heureusement des magiciens du Neuvième étaient de la partie. Ils proposèrent de l'extrader vers l'Angleterre, pour régler les choses sans faire de remous. Naturellement la proposition ranima des siècles d'inimitié et de guerres de Nomes, qui firent que tout d'abord, le Quatorzième n'était plus du tout favorable à l'idée de céder leur Champollion, ni d'ailleurs à l'exécuter pour le plaisir de la perfide Albion, mais aussi qu'on se désintéressa bient?t de lui pour entrer dans une querelle de juridictions. La plupart des magiciens présents avaient au moins cinq cents ans et n'avaient oublié, ni Waterloo, ni Aboukir, ni la guerre de sept ans. Le plus vieux du Quatorzième remit la guerre de cents ans sur le tapis. Entre temps Iskandar avait été prévenu et mis fin à la dispute en le prenant à l'essai.

Il l'avait confié à Erwan, ce qui était un moyen de le forcer à devenir élémentaliste. Ce n'était pas son penchant naturel. Ce qu'il aimait, c'était la théorie des forces, la lecture et les signes, la magie intellectuelle. Il avait d? apprendre plut?t la terre, le chant des vignes, avec le temps il avait aimé ?a. La magie élémentaire était déconsidérée dans la plupart des nomes dont le Quatorzième. Les élémentalistes étaient les magiciens du grossiers, des joyeux hippies, des écolos avant l'heure en quelque sorte.

? Tu as trois ans, pour en faire un magicien. S'il se comporte mal, tranche lui la gorge ?, avait prévenu Iskandar. C'était un bon compromis. Il était devenu magicien du Quatorzième, on n'avait rien trouvé à redire.

En fait, il aurait aimé être un druide. Ils le fascinaient pour leur aisance à combiner la complexité, le langage et la magie intuitive. Pour cela, il aurait d? naitre Celte, donc Breton, ou Irlandais, ou encore Auvergnat. A la place il se contentera de ces écritures, de la magie du fleuve et des signes. Magiciens. Mais s'il comprend les druides c'est que comme eux sa vie s'épand dans la durée, comme eux, il est fait pour subsister et voir le temps filer avec ses hommes devant ses yeux. Comme eux, il maitrise la durée, la longueur et comme eux il engrangera plus de savoir et connaissances qu'aucun homme du vulgaire. Il n'est pas un dieu, ni un monstre, pas exactement, plut?t un de ces ermites touchés par la gr?ce, un de ces moines stylistes décodant les signes du vent.

Un autre hiéroglyphe scintille doucement, portant son odeur terre mouillée, la rumeur d'une fête distante, d'une conversation.

? Alors, ?a s'est passé comment ? Tu lui as dit quoi ? ? Elle lui demande sur le quai devant le Pont-Neuf, à la libération de Paris. La fanfare joue derrière eux la fleur de Paris.

? Non, tu l'as pas renvoyé quand même ?

C'est encore un enfant.

– Tu me rends dingue. Tu l'aimes, non ? T'es chiant, merde, tu compliques toujours tout.

Alice, arrête. On s'est juste embrassés. Il ne saurait même pas à quoi il s'engage.

– C'est ?a ton excuse ?

– Non, j'ai besoin de plus de temps, pour guérir surtout. Pour faire mon deuil.

– Tu as le droit d'aimer quelqu'un d'autre tu sais. Les morts n'ont plus besoin d'amour.

Il y aura encore du temps…

Oh, je comprends, tu as tout ton temps. Moi je n'en ai plus tellement.

– Arrête !

– Vingt années, peut-être trente, peut-être dix. Ecoute, même si tu dois vivre mille ans, perd pas de temps pour aimer. ?

? Alice et toi, vous avez une incroyable capacité à guérir lui dit un jour Erwan. ? Il lui faudra des années dans son cas, mais des années après le règne des chambres à gaz, il s'autorisera à aimer.