Voilà des mois et des mois, peut-être bien même qu'on fr?le l'année, que j'avais envie d'écrire cet OS. Il est directement inspiré d'un des chapitres du manga, aussi adapté en animé. Though I May Depart, You Shall Remain, l'épisode 5 de The Beautiful World, celui sur France, interpellé par un Fran?ais qui essaye de comprendre l'entité qu'il représente.

Cette fic est en même temps publiée en anglais sur A03, si jamais !

Bonne lecture...


Adrien sortit en trombe dans la salle de bain. C'était le grand jour. Il en était certain. Il l'avait vu hier. Même s'il l'avait rapidement perdu de vue. Mais aujourd'hui, il ne le laisserait pas s'échapper. Il était à deux doigts de résoudre ce mystère.

- Adrien ! Mais qu'est-ce que tu…

Il embrassa sa femme, la coupant par la même occasion.

- Désolé, Clèm'. Je dois y aller.

Il s'en fut bien vite, fébrile.

Clémence soupira avant de jeter un coup d'?il au sol de la salle de bain. Elle secoua la tête et ramassa le linge étalé par terre.

- Tu pourrais au moins mettre ton sale dans la panière ! cria-t-elle à travers l'appartement, y jetant un binder, agacée, sous le coup de la frustration.

Elle rejoignit l'entrée. Adrien était sur le point de partir mais elle l'arrêta en lui attrapant le poignant.

- Adrien, s'il te pla?t, je ne te comprends plus récemment. Pourquoi est-ce que tu pars si t?t chaque matin ? C'est à cause de ton travail ?

- Oui, le travail. Un travail très important. Et je suis sur le point d'en voir le bout. Je te promets que ?a sera bient?t fini !

Adrien l'embrassa une fois encore sur la joue. Clémence ne put s'empêcher de sourire un peu malgré tout. Il attrapa un caméscope, un calepin d'où s'échappaient des feuilles volantes, et ses clés. Puis, il quitta finalement l'appartement pour de bon et tout devint silencieux.

Clémence demeura dans l'entrée, bras croisés, observant toujours la porte. Elle entendait ses pas dévaler les escaliers. Elle baissa les yeux et vit une vieille photo sur le sol. Elle la prit et fron?a les sourcils. C'était ce genre de cliché du début du siècle, en noir et blanc qui avait fini par devenir sépia au fil du temps. Pourquoi était-il si obsédé par ces photos dernièrement ? se demanda-t-elle alors qu'elle posa doucement le cliché de l'ancêtre d'Adrien en compagnie de ce qu'elle supposa être un ami sur le buffet.

oOo

Le c?ur d'Adrien battait à tout rompre. Il le savait. Il pouvait le sentir. Il n'avait pas menti à Clémence. Il était sur le point de résoudre ce mystère.

Il monta les marches quatre à quatre depuis la station de métro et fut submergé par la vie parisienne en ce début de matinée. Un ballet de klaxons jouait déjà. Les terrasses des cafés étaient déjà bondées. Les talons claquaient déjà sur le trottoir. Et les pigeons picoraient déjà les mégots et la poussière partout.

Adrien sauta en arrière lorsqu'un vélo le sonna et il s'excusa pour avoir bousculé une poussette. Comme la mère et son bébé étaient sur le point de descendre les escaliers, il ne put s'empêcher de prendre le temps de lui offrir son aide.

- Merci, monsieur. Ces escaliers sont un cauchemar…

- Oui, je ne comprends vraiment pas pourquoi ils n'ont jamais pensé à une rampe.

- Peut-être qu'un jour toutes les stations auront au moins des escalators.

Elle soupira tout en rajustant son voile. Ils avaient atteint leur destination. La mère le remercia une fois de plus.

Dès qu'elle l'eut quitté, Adrien se précipita dehors à nouveau et observa les alentours. Ok, tout va bien. Il espéra n'avoir rien raté cela dit. Il acheta le journal du jour au kiosque plus par réflexe que consciemment. Il s'assit à la petite table d'un café avec la meilleure vue et commanda une formule petit-déjeuner.

Pendant ce temps, il ouvrit son calepin et r?la face aux feuilles volantes qu'il remit en place. Il relut la dernière entrée qu'il avait inscrite la veille et avait toujours du mal à y croire.

2 mai 1990

8h43 Je l'ai vu au croisement de la rue Saint-Honoré et de la rue du Louvre. Exactement – . - identique à la photo de 1865.

Il jeta à nouveau un coup d'?il à la place. Il ne voulait pas le manquer.

Je l'ai suivi jusqu'au parc de la Tour Saint-Jacques.

9h01 Je l'ai perdu… MERDE.

Il releva les yeux encore. Rien à signaler. Il attrapa son stylo et inscrivit rapidement la date du jour.

3 mai 1990

8h37 Je reprends là où je l'ai perdu hier.

Alors qu'il observait les alentours, Adrien tapotait le journal. Il regarda à peine la une. Parfois, il se demandait bien pourquoi il l'achetait toujours alors même qu'il ne le lisait pas du tout. Il pensait pouvoir passer le temps mais dès qu'il essayait de lire ne serait-ce qu'une ligne, il avait peur de manquer quelque chose. Au bout du compte, le journal n'était là que pour donner l'impression qu'il ne faisait rien de spécial, qu'il n'espionnait pas. Non, il n'espionnait pas du tout. Pas le moins du monde… Adrien devait admettre que le journal n'était là que pour le rassurer plus qu'autre chose.

Cela dit, un type blond, on pouvait difficilement le rater. Les Fran?ais étaient bien plus souvent ch?tains. Il n'avait jamais compris pourquoi cet homme était blond du coup. Mais de toute fa?on, c'était un avantage pour lui.

Adrien sursauta lorsque soudain au coin de la rue, un homme blond dans un costume trois-pièces avec un foulard bordeaux autour du cou apparut.

C'est lui !

Adrien rassembla ses affaires dans sa sacoche. Les photos tombèrent sur le sol.

- Merde.

Le serveur vint alors qu'Adrien était sous la table en train de récupérer les clichés. Il posa un café, un croissant et la note, sans aucun sourire sur le visage. Adrien se cogna presque la tête sur la table. Il le remercia sans quitter des yeux l'homme blond. Il avala d'une traite le café. Bien trop br?lant, il se br?la la gorge. Il attrapa le croissant, régla sur le tas avec quelques pièces.

- Gardez la monnaie.

Et il partit en toute h?te.

Il se jura qu'il ne le perdrait pas des yeux aujourd'hui. Hors de question ! Il se pressa d'autant plus.

Il hurla intérieurement pourtant lorsqu'il dut s'arrêter au feu rouge. L'homme était déjà de l'autre c?té. Mais il était bien trop dangereux de traverser la route, particulièrement dans ce coin, s'il n'y avait ni passage clouté ni feu vert. Il serra les dents.

Ne pas le perdre, ne pas le perdre.

L'homme blond s'accouda au garde-fou. Il rêvassait en regardant la Seine.

Parfait ! Ne bouge pas, juste ne bouge pas.

Adrien perdait patience.

- Allez, le feu vert, allez.

Mais c'est alors que l'homme quitta son emplacement, une main glissant sur les pierres, et poursuivit son chemin par-delà le pont.

Non, non, non, non !

Le feu passa au vert. Adrien sauta sur la route. Bien entendu, une voiture grilla un feu rouge et ne ralentit même pas. Adrien dut faire marche arrière rapidement. Il fit un doigt à la voiture et jura. Personne ne s'en inquiéta outre mesure et finit par traverser la route.

Adrien paniqua alors. Merde ! Il l'avait perdu. Le pont ! Faites qu'il soit sur le pont. Avec un peu de chance, il serait en train de fl?ner.

Là ! Adrien soupira de soulagement. L'homme blond était là, de l'autre c?té du pont.

Adrien raffermit sa prise sur le croissant auquel il n'avait même pas encore touché et se pressa. Il avait besoin de savoir. Il ne voulait pas simplement lui parler, il voulait comprendre. La légende devait toucher à sa fin et révéler ses secrets. Il devait rassembler toutes les preuves possibles.

Malheureusement, dès qu'il eut finalement atteint l'?le de la Cité, celle au c?ur de Paris où se trouve la cathédrale de Notre-Dame, le flot de touristes le ralentit, même si t?t le matin en semaine. Il pouvoir toujours le voir cela dit. Ses boucles blondes volant au vent, il avan?ait doucement, fendant tranquillement la foule. Comment diable arrivait-il à faire ?a ?

- Attendez !

Peu importe jusqu'où Adrien pouvait aller, c'était comme si l'homme était toujours loin devant lui. Il tourna finalement dans une petite rue loin du tumulte de l'artère principale. Il n'y avait là que des riverains. Merci bien ! Adrien pouvait enfin souffler. Mais pas le temps de se poser, l'homme accélérait déjà le pas.

Tout en marchant, Adrien essaya d'allumer son caméscope. Il faillit le faire tomber. Le cadre tremblait, n'arrivant pas à stabiliser l'appareil.

Ils quittèrent bient?t les b?timents pour déboucher sur les quais avant de traverser un pont. Ils étaient désormais sur l'?le Saint-Louis, bien moins célèbre que sa cons?ur, toujours dans son ombre. Bien plus tranquille, moins fréquentée, il s'y trouvait peu de gens en particulier à cette heure, un jour de travail. Et pourtant, Adrien était surpris de voir à quel point cet homme marchait vite.

L'homme disparut au détour d'une rue et, effrayé à l'idée de le perdre une fois encore, Adrien courut. Quand il arriva dans la rue, il n'y avait personne.

- Merde.

Il serra les dents.

Puis, il aper?ut un portefeuille sur le sol. Il observa les alentours, mais il n'y avait décidément personne. Il l'empoigna et fouilla à la recherche de papiers avec un nom ou autre. Secrètement, il espérait l'impossible. Il y avait beaucoup, beaucoup de cartes, un re?u perdu dans quelques pièces et un vieux Polaroid. Oui ! Parfait. C'était le sien. C'était le portefeuille de cet homme. Il était avec une femme noire en train de manger du poisson sur une terrasse, entourée par une végétation luxuriante. Quelque part, Adrien n'osait y croire. C'était son portefeuille. Quel trésor il avait là ! Comme l'homme n'était nulle part en vue, il décida de prendre le chemin de la maison.

Au deuxième étage d'un b?timent, deux femmes observaient Adrien s'en aller.

- Pauvre gosse. Il y tient vraiment… dit Monaco tout en essuyant ses lunettes.

- Oui. Ce n'est pas très gentil de ta part, Francis.

Belgique se tourna vers France qui venait d'entrer.

Il haussa un sourcil comme s'il ne comprenait de quoi elle parlait. Il ?ta son manteau et l'accrocha à la patère avant de s'asseoir dans un fauteuil, aux c?tés de Suisse qui lui envoya un regard moralisateur.

- Je tiens juste à savoir jusqu'où peut aller ce gar?on.

- Et nous faire prendre par la même occasion, grommela Suisse.

- Je sais de quoi vous vous inquiétez. Mais je vous promets que je ne contreviendrai pas à l'ordre de nos gouvernements. Plus aucun humain ne saura pour nous.

- Eh bien, je me demande comment tu comptes t'y prendre sachant qu'il a ton portefeuille.

Monaco ne put s'empêcher un sourire en coin. La réaction qu'elle attendait de France vint de suite. Il écarquilla les yeux et blêmit. France se leva soudain et fouilla toutes ses poches.

oOo

Peut-être bien que ce n'était pas très bien de toucher aux affaires des autres mais Adrien ne pouvait s'en empêcher. Le portefeuille était sur le point de révéler ses trésors et des tas d'informations qu'il n'aurait jamais imaginées.

Adrien était de retour chez lui. Clémence était maintenant partie au travail à La Défense et ne rentrerait pas avant 18h, voire 19h ou 20h selon le trafic qui pouvait être un cauchemar aux heures de pointe. Il était assis sur le canapé, le portefeuille en face de lui sur la table basse du salon. Il finit par mordre dans son croissant complètement rabougri. Puis, il se secoua les doigts et ouvrit le portefeuille. Il étala le tout sur la table basse.

Ok, c'est parti.

Evidemment, il y avait le Polaroid. Il l'observa pendant un moment, détaillant chaque trait sur le visage de l'homme. Il n'avait aucune idée de qui se trouvait avec lui, mais au moins ne pouvait-il pas se tromper sur son identité, à lui. Il y avait une carte de bibliothèque pour… Nice ? C'était plut?t loin. Un nom y était inscrit : Francis Bonnefoy.

Vraiment ? Comment pouvait-il avoir ce nom ? Cela paraissait un peu… bizarre pour un Fran?ais. Mais bon, pourquoi pas. Adrien n'avait aucune idée du pourquoi ils avaient des noms normaux. L'homme était-il né avec ? L'avait-il choisi ? L'avait-on choisi pour lui ? Adrien ne savait même pas si ces gens naissaient comme tout le monde. Afin de ralentir le flot de questions qui tournaient dans son esprit, il délaissa la carte de bibliothèque et jeta un ?il aux autres.

Un carte de la RATP pour prendre les transports à Paris, mais aussi une de la SEMVAT, ce qui signifiait un accès aussi aux transports toulousains, une de TCC pour Lille, un de la RTM pour Marseille, une de Bibus pour Brest… Clermont-Ferrand, Strasbourg, Pau, Limoges, Bordeaux, Nantes, Caen, etc… toutes les cartes étaient des souscriptions aux transports. Si ce n'était pas une preuve qu'Adrien était sur la bonne voie pour découvrir la vérité ! Qui donc pouvait bien avoir à peu près toutes les cartes de transports existantes en France dans leur portefeuille ? L'homme avait même une carte de fidélité Air France. Sérieux, qui avait ?a ? Sans compter que ce devait co?ter cher. Sur toutes, il pouvait voir une photo d'identité de ? Francis Bonnefoy ?, ainsi qu'il était noté également sur chacune.

Adrien rejoignit le téléphone et attrapa l'annuaire à c?té. Il passa en revue les pages B, et trouva une Josette Bonnefoy, un Marius Bonnefoy et une Véronique Bonnefoy. Mais aucune trace d'un Francis par contre.

Il revint à la table basse et observa le contenu du portefeuille étalé dessus. Il réalisa alors qu'il ne contenait aucune carte de crédit ou d'identité. Pas plus qu'il n'y avait de permis de conduire.

Comment pouvait-il retrouver cet homme désormais ?

Il regarda l'enregistrement tremblant qu'il avait filmé avec son caméscope alors qu'il courait. Il grima?a. C'était très dur de saisir quoique ce soit. Il s'écroula sur le canapé et soupira.

Adrien devait résoudre ce mystère. Il était si près du but. Et alors, il pourrait tout montrer à son père. En rassemblant toutes les preuves qu'il pouvait, son père ne pourrait plus mettre sa parole en doute. Et en particulier, il ne pourrait plus douter de son propre père. Cette seule pensée ragaillardit Adrien. Hors de question qu'il laisse tomber son grand-père. Il avait encore une semaine. Il allait l'utiliser à bon escient.

- Attends voir, Francis Bonnefoy. Je vais te trouver.

oOo

Le lendemain, Adrien retourna sur les lieux où il l'avait vu pour la dernière fois. Mais l'homme n'était bien entendu nulle part. Il tenta de se mettre à sa place. A quoi pouvait bien ressembler sa vie ? Que pouvait bien faire ces gens de leur journée ? Avaient-ils un travail ? Ou bien leur travail étaient-ils d'être… ce qu'ils étaient ? Adrien écrivit toutes les pensées qu'il avait sur le sujet, toutes les questions qui lui passaient par la tête.

Mais jour après jour, Adrien avait beau parcourir Paris, des lieux les plus célèbres aux endroits plus locales et ordinaires, il ne trouva nulle trace de l'homme blond.

Un soir cependant, alors que Clémence et lui mangeait la conserve de ratatouille qu'ils avaient fait réchauffé dans une casserole tout en regardant le JT, il se figea. La journaliste derrière l'écran énon?ait les évènements à venir dans le monde de la politique internationale.

Mais voilà !

Adrien laissa tomber sa fourchette dans l'assiette, complètement absorbé par l'écran. Clémence haussa un sourcil perplexe tout en l'observant monter le volume.

Mais oui : un sommet de l'UNESCO, ici même, à Paris. Adrien en était s?r. L'homme s'y trouverait. Il connaissait son prochain emplacement.

- Adrien ?

Il sursauta.

- Oui, mon c?ur ?

- ? Mon c?ur ? ?

Elle fron?a les sourcils. Il sourit ne sachant que dire. Clémence leva les yeux au ciel.

- Peu importe. Passe-moi l'assiette de fromage s'il te pla?t.

oOo

7 place de Fontenoy, 7ème arrondissement, Paris. Voilà qu'il se trouvait devant les b?timents de l'UNESCO.

Adrien ne savait pas quand le sommet était censé démarrer. Il était donc parti de l'appartement à 6h45. Juste au cas où. Il mordit dans son chausson aux pommes tout en observant l'entrée depuis un banc. Le portail métallique était ouvert depuis 7h30 et des passants chargés de mallettes l'avaient déjà franchi depuis. Mais il n'avait encore reconnu personne.

Il espérait que l'homme n'allait pas utiliser une autre entrée. Adrien avala sa bouchée.

Puis, une femme apparut agitant la main face à quelqu'un. Elle portait un costume et pourtant étaient coiffée de couette, ce qui était de l'opinion d'Adrien un très mauvais choix pour un sommet international formel. Mais ce qui attira son attention en particulier fut qu'il la reconnut. Il s'agissait de la femme noire de la photo qui était dans le portefeuille.

Adrien sauta sur ses pieds. Ok, il ne lui restait plus qu'un jour, pas le temps d'espionner qui que ce soit désormais. C'était maintenant ou jamais. Il devait parler à ces gens et trouver Francis Bonnefoy.

Alors qu'il traversait la rue, il vit un homme aux boucles blondes saluer en retour la jeune femme et venir à sa rencontre. Pour un peu, Adrien crut qu'il avait enfin retrouvé l'homme mais il s'agissait en réalité de quelqu'un d'autres. Il portait des lunettes et paraissait plus large d'épaule. Il les rejoignit alors qu'ils avaient engagé la conversation, échangeant des trivialités.

Adrien s'arrêta.

Il y avait indubitablement quelque chose de fran?ais chez la femme. Et pourtant, il avait du mal à saisir complètement ce qu'elle disait. Mais plus surprenant encore, l'autre parlait en anglais et pourtant aucun des deux ne semblaient le moins du monde perturber par la langue ou l'accent de l'autre.

Adrien était abasourdi.

Alors qu'il demeura figé sur place à quelques mètres d'eux, ils finirent par le remarquer.

- Hm… Hello?

-Are you lost? Or new?

Tous deux s'étaient adressés à lui en anglais mais comme il ne bougeait toujours pas, l'homme changea de langue. A entendre son accent, Adrien n'eut aucun doute. Il sauta en arrière.

- Oh mon dieu, je sais ! Vous êtes Québec !

Les joues de l'homme rougirent alors que la jeune femme riait sous coupe. Puis, l'homme soupira.

- Pourquoi même les humains se trompent sur moi ?

- Vous n'êtes pas la personnification du Québec ?

La femme s'arrêta de rire et regarda l'homme, bien plus grand qu'elle. Il avait l'air embarrassé.

- C'est que, je veux dire, je ne vois pas de quoi vous parler, monsieur. Désolé.

Ils balbutièrent tous les deux des excuses tout en essayant de s'échapper.

Mais il était hors de question pour Adrien de les laisser partir. Il tenait enfin quelque chose.

- Attendez, attendez ! Je suis désolé, ce n'était pas très poli. J'ai juste besoin de voir quelqu'un. S'il vous pla?t !

Ils se jetèrent un coup d'?il, clairement incertain de ce qu'il convenait de faire. Mais finalement, la femme ne put résister.

- Qui cherchez-vous ?

- Francis Bonnefoy.

oOo

Adrien déglutit.

- Bonjour… Enchanté de vous rencontrer monsieur… Bonnefoy, n'est-ce pas ?

L'homme était en face de lui, en costume et les cheveux relevés par un ruban. Il n'était pas aussi grand qu'Adrien l'aurait cru. C'était donc France. C'était donc son pays. Et c'était un peu bizarre à bien y penser d'ailleurs. Maintenant en face de lui, Adrien se sentait un peu perdu.

- M. Bonnefoy. Francis. France. Ce qui te convient, déclara France dans un sourire, la seule chose que je te dirai c'est de n'en parler à personne. Sinon, nous aurions de gros souci s'ils apprenaient que nous avons laissé un autre humain découvrir la chose.

Il lui lan?a une ?illade malicieuse.

- Je… je vais m'en tenir à M. Bonnefoy, si vous le voulez bien.

- Très bien ! Et donc, pourquoi voulais-tu me rencontrer au point d'avoir réussi à convaincre Annette et Matthew de t'amener ici ?

Adrien cligna des yeux. Oh, il devait parler des deux personnes qu'il avait rencontrées à l'entrée.

- Eh bien, je… je sais ce que vous êtes. Je veux dire, qui vous êtes, pardon.

Il sortit de sa sacoche son calepin et attrapa une vieille photo.

- Est-ce que par hasard vous vous souviendriez de ?a ?

France prit la photo et l'observa un long moment, souriant doucement. Que cela faisait longtemps. Plus d'un siècle. Leur mémoire ne fonctionnait pas de la même manière que celles des humains mais il s'en souvenait encore. Il avait pris des photos avec plein de monde, que ce soit avec d'autres comparses personnifications ou bien des officiels, mais il en avait pris peu avec des humains ordinaires. Sans compter qu'il s'agissait alors encore des débuts de la photographie.

D'une manière ou d'une autre, il se souvenait de ce jeune homme sur la photo et des circonstances exactes qui avaient mené à leur rencontre. Le jeune homme observait la devanture d'un atelier de photographie, triturant le chapeau dans ses mains. Il paraissait modeste, un homme de peu de bien, mais clairement intrigué par tous ces appareils et ces portraits sur le présentoir. France n'avait pas pu résister et engagea la conversation.

- Quelle belle invention, n'est-il pas ?

Le jeune homme sursauta et s'excusa sur le champ de ce qu'il considérait être de l'impolitesse.

- Je n'avais pas l'intention de vous obstruer la vue, monsieur.

Il recula de quelques pas sans regarder France. Celui-ci ne comprit d'abord pas pourquoi avant de capter son propre reflet dans la vitrine. Affrété dans le plus beau style de l'époque, il paraissait propre sur lui tel un bon bourgeois et jouait avec une canne.

- Oh, non, non, ne t'en fais pas pour cela. J'observais ton enthousiasme.

- Mon enthousiasme ? Je suis désolé, monsieur, je ne comprends pas.

- Voudrais-tu essayer de te faire tirer le portrait ?

- Sauf votre respect, monsieur, je crains que je ne puisse m'offrir pareille fantaisie.

France balaya l'air de sa main.

- Pas d'inquiétude, jeune homme. M'accorderais-tu le plaisir de te joindre à moi pour une photographie dans ce cas ?

Il fut un temps où personne n'ordonnait d'éviter le contact avec les humains autant que possible. Il fut un temps où France continuait d'errer et s'arrêtait pour parler avec quiconque croisait sa route. Certains avaient décidé que les personnifications qu'ils étaient devaient être un mythe et ainsi commen?a la légende.

France secoua la tête comme pour revenir au temps présent. Le gar?on l'observait toujours, nerveusement. D'une certaine manière, il ressemblait un peu à celui qu'il avait croisé voilà des décennies.

- L'homme avec vous sur la photo, dit Adrien, c'est mon arrière-arrière-grand-père.

France écarquilles les yeux.

- Et euh… vous avez aussi rencontré mon grand-père pendant la Première Guerre Mondiale, mais… je n'ai aucune photo à ce sujet. Il m'a juste raconté ?a quand j'étais plus jeune.

Maintenant qu'il était lancé, Adrien avait besoin de tout l?ché.

- Au début, je ne l'ai pas cru. Mais quand on a d? vendre la maison de Melun, j'ai découvert cette vieille photo en rangeant. Et ?a correspondait à la description que mon grand-père m'avait faite. Du coup, j'ai commencé à me poser des questions. Quand je la lui ai donnée, mon grand-père a pleuré. C'était plein de souvenir pour lui apparemment. La guerre, son propre grand-père, vous… tout en fait, j'imagine. En plus, d'autant que je me souvienne, personne ne l'a jamais cru quand il en parlait. Ils… enfin, moi aussi, on pensait juste que c'était la sénilité. Je me suis senti mal de ne pas l'avoir cru juste parce que, vous savez, quand on est vieux, j'imagine que personne ne vous écoute plus vraiment. Enfin, peut-être que vous ne savez pas puisque vous ne vieillissez pas, mais…

Adrien releva les yeux et aper?ut l'expression de France.

Il était ahuri et fron?ait les sourcils. Et pourtant, Adrien voyait clairement tout un tas d'émotions dans les yeux de France. Aucun d'eux ne pronon?a un mot pendant un moment. France contempla de nouveau la photo.

- C'est une belle histoire, finit-il par dire, mais je suis désolé, je ne me souviens pas de ton grand-père.

Adrien haussa les épaules.

- Je m'y attendais. Je veux dire, vous avez vécu pendant des siècles. J'imagine que vous avez rencontré des tas de gens au fil du temps.

Il toussa. Il ne savait pas comment France réagirait à sa requête mais il devait lui poser la question.

- J'ai quelque chose à vous demander par contre.

- C'est-à-dire ?

- J'aimerais que vous rencontriez mon grand-père.

Comme France grima?ait, Adrien s'empressa d'ajouter :

- S'il vous pla?t, M. Bonnefoy ! C'est la dernière chance que j'ai de m'excuser de ne pas l'avoir cru plus t?t et de lui dire qu'il n'est pas fou ! Ma famille à décider de le renvoyer à Gordes, où il est né, pour y finir ses jours. Il prend le train demain et, vieux comme il est, il ne reviendra plus sur Paris. S'il vous pla?t, M. Bonnefoy ! Je veux juste satisfaire le dernier v?u de mon grand-père. S'il vous pla?t.

Le regard de France se perdit par-delà la fenêtre pendant une bonne minute, repensant encore et encore aux ordres que les personnifications, et notamment les nations, avaient re?us récemment. Il les détestait. Cela avait toujours fait partie de ses plaisirs que de rencontrer et de discuter avec les humains. Il avait toujours aimé être proche d'eux. Quand il revint à Adrien, le gar?on paraissait déterminé quoique quelque peu inquiet également.

- Y a-t-il un navire qui peut aller sans vent ?

Adrien ne comprit pas vraiment la réponse de France.

- Est-ce que ?a veut dire que… vous acceptez ?

France sourit. Adrien éclata de joie. Il ne put s'empêcher de se jeter sur France et de lui serrer vigoureusement la main. Il ne pouvait assez le remercier et le répétait sans cesse au point que France finit par en rire. Il lui tapota l'épaule.

- Maintenant, si tu veux bien m'excuser. J'ai un sommet qui m'attend.

- Oui, bien s?r, pas de problème. Oh, merci, M. Bonnefoy !

Ils échangèrent quelques informations supplémentaires afin de se retrouver le lendemain. France lui donna l'adresse d'un café. Puis, Adrien observa France s'éloigner lorsqu'il réalisa qu'il avait oublié quelque chose de très important. Il lui courut après.

- Ah ! M. Bonnefoy, j'ai votre portefeuille !

oOo

Le lendemain matin, Adrien chantonnait joyeusement sur le chemin de chez ses parents. Il sautillait sur place, un large visage collé au visage quand il sonna à la porte. Sa mère ouvrit.

- Amand-Pardon, promis, je vais m'y habituer, je te le jure !

Elle toussota.

- Adrien, ravie de te voir mon chéri.

Elle lui fit la bise.

- Ravi de te voir aussi maman. Papy est réveillé ?

- Tu parles qu'il l'est. Il est déjà en chemin pour la gare avec ton père.

Adrien défaillit.

- Quoi ? Mais son train, c'était pas cet aprèm ?

- Au début, oui. Mais il y a une grève en cours et certains trains ont été repoussés ou annulés. Tu sais comment c'est. Donc on a changé son billet. Ton père ne t'a pas appelé ?

Sa mère comprit parfaitement que son fils n'en avait aucune idée. Elle hoqueta.

- Oh, mon chéri, je suis désolée.

Elle jeta un coup d'?il à l'horloge.

- Si tu te dépêches, je suis s?re que tu pourras le voir avant son départ. Tiens, prends le vélo !

Adrien sauta dessus et pédala à toute vitesse. Quand il atteignit la Gare de Lyon, il laissa le vélo tomber à terre. Certains le dévisagèrent. La gare était bondée. Il observa le panneau des départs, vit le quai annoncé pour le train à destination d'Avignon et courut jusque là. Il aper?ut finalement son père et son grand-père dans son fauteuil roulant. Un membre du personnel était sur le point de l'aider à grimper dans le train. Adrien accéléra.

Absolument. Hors. De. Question. Il n'avait pas fait tout ?a pour ?a !

- Stop !

Adrien attrapa le fauteuil roulant de son grand-père, lui fit faire demi-tour, tandis que son père le dévisageait ahuri et reconnaissait à peine son fils.

- Désolé, papa ! Trop important !

- Quoi, attends… Adrien ?

Mais Adrien s'échappaient déjà avec son grand-père dans son fauteuil. Il se précipita en dehors de la gare, héla un taxi et confia l'adresse au chauffeur.

?a allait lui co?ter un bras mais qu'importe ! C'était pour son grand-père.

Grand-père qui le regardait les yeux ronds à ses c?tés.

- Adrien ? Mais que se passe-t-il ?

Adrien lui attrapa la main et la serra tendrement.

- C'est une surprise, papy. Je voulais vraiment te la faire avant que tu partes.

Plus tard, le taxi s'arrêta dans le 6ème arrondissement. Adrien régla la course, souffrant intérieurement en voyant le prix. Quand la voiture les quitta, il inspira et expira profondément, puis conduisit son grand-père au café où ils avaient rendez-vous.

Il était déjà là, sirotant son café et lisant le journal. Il le déposa sur le journal lorsqu'il les aper?ut s'arrêter en face de lui.

Quand il vit les boucles blondes, la barbe, les yeux bleus, le grand-père d'Adrien se figea. Il avan?a des mains tremblantes.

- M. France, balbutia-t-il les larmes aux yeux, c'est bien vous, M. France.

France lui attrapa les mains, sourit et hocha la tête.

- Je dois dire que votre petit-fils est plut?t têtu.

Le vieil homme tout à la fois rit et pleura.

- Le portrait craché de son grand-père !